Pierre-Olivier Beaudoin (P.O. pour les intimes) est un YouTuber québécois très populaire. Pour l'émission Vlog à TVA, il a réussi un coup fumant: le soir du gala des Oscars, il s'est promené sur Hollywood Boulevard vêtu d'un complet dernier cri et brandissant un faux Oscar. Ce qu'il a vécu relève du surréalisme.

Dans son reportage, la réaction des passants est à la fois hilarante et pathétique. On se jette sur lui pour le photographier, des filles poussent des cris hystériques, l'une d'elles lui donne son numéro de téléphone afin de terminer la soirée avec lui. Il pousse même l'audace jusqu'à se présenter à l'un des partys post-Oscars, celui du mythique Chateau Marmont, où il parvient à entrer sans aucun problème.

C'est le monde à l'envers, se dit-on: Paul McCartney s'est fait refuser l'entrée à une fête lors des Grammy et un pur inconnu est accueilli à bras ouverts dans un party de stars juste parce qu'il a un trophée et qu'il a une attitude de star. «Je n'aurais pas pu vivre cela au Québec, m'a raconté P.O. vendredi. Mais à Los Angeles, oui. C'était absolument incroyable. À leurs yeux, j'étais une grande star alors que je suis un nobody là-bas.»

Cette expérience en dit long sur notre rapport avec la célébrité. On devient gaga non pas parce qu'on reconnaît celui qui est célèbre, mais parce qu'on attribue la célébrité à une personne qui semble la détenir.

Ce phénomène, propre à notre époque, a inspiré le sociologue et animateur de radio français Guillaume Erner. Il y a quelques jours, il a lancé un essai qui a pour titre La souveraineté du people. Erner y analyse dans ses moindres travers notre rapport obsessionnel avec la célébrité. «La meilleure façon de saisir une société, c'est de comprendre ses obsessions. La nôtre est obsédée par la célébrité», écrit-il.

L'auteur nous rappelle que si nous étions au Moyen-Âge, on n'en aurait que pour les saints. Comme nous vivons dans une période où les médias prennent beaucoup de place, nous n'en avons que pour les célébrités. D'ailleurs, Erner amorce sa réflexion avec cette prophétie des Évangiles: «Les premiers seront les derniers.» «Concernant les people, ils ne se sont pas trompés. Beaucoup de derniers sont devenus des premiers», écrit-il.

Il fait ici référence à Paris Hilton ou Kim Kardashian, des filles dépourvues de talent et qui sont devenues de véritables stars. De toutes les formes de célébrité, celle-ci fascine plus que toutes les autres.

J'ai d'ailleurs été témoin de ce phénomène l'an dernier alors que j'ai accompagné une collègue au Bal de la jonquille. J'y ai vu trois ou quatre filles, fort jolies et portant de belles robes, mitraillées par les photographes. Ces filles n'étaient pas particulièrement connues (l'une d'elles avait déjà eu un petit rôle dans la série Diva), mais, comme elles avaient l'attitude de stars, on les considérait comme telles. J'ai su par la suite qu'on les voyait à chacune des soirées mondaines de Montréal.

Le sujet de la célébrité peut paraître léger et superficiel. Or, selon Erner, il faut le prendre très au sérieux. L'essayiste n'hésite pas à qualifier la célébrité comme la valeur la plus importante de notre époque. «Avant, le pouvoir conférait une notoriété, aujourd'hui c'est la notoriété qui confère du pouvoir», affirme-t-il.

Voilà pourquoi, aujourd'hui, pour faire connaître ou promouvoir une cause, il faut une célébrité. Quand Leonardo Di Caprio parle des changements climatiques, on l'écoute. Quand Roy Dupuis nous dit qu'il faut faire attention à nos rivières, on prend les choses au sérieux. Même quand Pamela Anderson parle des mauvais traitements infligés aux animaux, son discours attire des meutes de journalistes.

Aujourd'hui, tout le monde peut devenir un people. Les jeunes préfèrent une célébrité sans talent qui est partie de rien. Pourquoi? Parce qu'ils peuvent s'identifier à elle. Ils se disent: «Moi aussi, je pourrais devenir célèbre.»

Ce phénomène de pipolisation ne touche pas seulement les inconnus issus des émissions de téléréalité, il touche aussi de plus en plus les politiciens. Enfermés dans leur monde hermétique et intellectuel, les politiciens ont rapidement compris qu'une touche people fait grandir leur succès d'estime auprès du public.

Souvenez-vous: au début de la version québécoise de Tout le monde en parle, tout le monde se scandalisait quand un politicien choisissait d'aller à cette émission plutôt qu'à une émission d'affaires publiques. Aujourd'hui, plus personne ne râle. C'est normal qu'un politicien aille refaire son image ou se bâtir un capital de sympathie entre Martin Matte et Matricule 728.

Atteindre la célébrité en étant n'importe qui et à tout prix, quitte à tuer. Erner évoque le cas de Mark David Chapman, l'assassin de John Lennon. On pense aussi à Luka Rocco Magnotta. Prêts à tuer, mais à mourir aussi. Comment ne pas songer à ces terroristes qui se transforment en bombe humaine... Cette célébrité-là, elle donne froid dans le dos.

On s'est beaucoup payé la tête de ceux qui sont devenus célèbres grâce à Occupation double ou Loft Story. Mais au fond, on veut tous, ou presque, être célèbre. On veut tous être reconnu. La preuve: tous les jours, nous offrons des pans entiers de notre vie sur Facebook, Twitter ou Instagram. Pourquoi? Pour obtenir de l'attention. L'attention, c'est bien le résultat de la célébrité, non?

Erner a raison: ce sujet est capital. Il faut le cerner et le comprendre pour mieux revenir sur terre. En réfléchissant à ce curieux et troublant phénomène, les sages paroles d'une star qui nous a récemment quittés pour les étoiles me sont revenues à la mémoire. David Bowie a déjà dit: «Je pense que la célébrité en elle-même n'est pas une récompense. Tout au plus, elle te permet d'avoir une place au restaurant.» Contentons-nous de cela. Juste de cela.