Je m'en souviens comme si c'était hier. J'avais 12 ans et j'étais seul à la maison. J'avais entrepris de peinturer ma boîte à savon (pour les plus jeunes, c'est un tacot sans moteur) pour lui donner du style. J'avais trouvé un vieux pot de peinture jaune dans la remise. Vous savez, un beau jaune pétant.

Et puis, est arrivé ce qui ne devait pas arriver. Le pot s'est renversé sur la belle entrée d'asphalte de mon père, la plus belle de la rue. Pris de panique, j'ai agrippé une guenille et de la térébenthine et je me suis mis à frotter la tache comme un déchaîné. Mon coeur se débattait, la sueur coulait sur mon front. Plus je frottais, plus la tache s'agrandissait.

Quand mes parents sont rentrés à la maison, il a été impossible pour moi de cacher l'immense tache jaune que j'avais créée et qui trônait au beau milieu du bel asphalte de mon père.

Cette histoire m'est revenue à la mémoire quand j'ai lu hier la chronique de Lise Payette. C'est exactement ce qu'elle a fait depuis des jours dans l'affaire Jutra. 

À force de frotter sur sa gaffe, elle en a fait une tache désormais indélébile sur sa longue et prolifique carrière.

Reprenons les faits dans l'ordre. Le 19 février, Lise Payette publie une chronique dans Le Devoir où elle fait un malheureux amalgame entre pédophilie et homosexualité en voulant expliquer que son ami Claude Jutra était un homosexuel incompris et que dans les années 40, c'était pas facile de vivre cet état.

Le 21 février, elle publie un court texte qui est une réplique à une lettre du comité LGBT CCMM-CSN. Sans s'excuser ni reconnaître ses torts, elle redit que Jutra était un homosexuel « tourmenté comme on en fabriquait dans plein de collèges au Québec dans les années noires 1940 et 1950 ».

Dans la foulée, Brian Myles, nouveau directeur du Devoir, va au micro d'Alain Gravel et y va d'une explication brouillonne du genre : « Le Devoir a une ligne éditoriale, mais pour le reste, on donne pleine liberté à nos chroniqueurs. »

Hier, Lise Payette a publié une chronique qu'elle a titré « La vie continue... ». Dans ce texte, elle dit qu'elle n'a jamais voulu faire d'amalgame entre pédophilie et homosexualité, qu'elle a de la compassion pour les victimes de pédophilie et qu'elle est « désolée » d'avoir pu blesser certains lecteurs. Le mot « excuse » n'apparaît cependant nulle part.

Elle nous explique qu'elle a rédigé la chronique du 19 février le 17 février. Or, c'est le 17 février au matin que La Presse publiait le témoignage-choc de Jean, qui affirme que Claude Jutra l'a agressé pendant dix ans, entre l'âge de 6 et 16 ans.

Que Lise Payette ne lise pas La Presse, c'est son droit. Mais cette nouvelle était partout : à la télé, dans les radios, sur les réseaux sociaux.

C'est ça, le problème dans toute cette histoire. C'est ce sentiment qu'elle nous prend pour des poires. C'est cette attitude d'impératrice. C'est cette image d'une femme qui demeure drapée dans sa superbe et son arrogance.

Cette Lise Payette là, je ne l'ai jamais aimée. Je l'ai retrouvée l'autre soir à Tout le monde en parle quand, avec une moue dédaigneuse, elle a été incapable d'avoir le moindre mot positif pour Justin Trudeau qui a obtenu la parité dans son conseil de ministres. Cette Lise Payette fait oublier toutes les autres.

Ce qui est dommage avec les gaffes que font les gens en fin de parcours, c'est que celles-ci effacent une grande partie de l'oeuvre qui les précède. Tout le monde commet des erreurs. Mais une erreur commise par un penseur ou un intellectuel à l'hiver de sa vie fait mal. Très mal.

Demandez à Janette Bertrand comment elle se sent depuis qu'elle a tenu des propos maladroits sur les femmes voilées. Madame Bertrand a fait des choses grandioses pour l'avancement des femmes. Malheureusement, cette envolée sur fond de charte des valeurs sera une ombre au tableau qu'elle laissera.

Quant à Lise Payette, des excuses en bonne et due forme auraient été nécessaires. Et dès le départ.

Je retiens au moins quelque chose de positif dans toute cette affaire. La gaffe de Lise Payette a montré une fois de plus que les gais et les hétérosexuels ouverts d'esprit n'acceptent pas qu'on écrive de telles idioties en 2016. Ils ont fait front commun pour dénoncer ces propos déconnectés de la réalité.

Indirectement, Lise Payette a fait avancer les choses d'une certaine manière. D'ailleurs, la manière indirecte pour faire avancer les choses, elle connaît ça. Sa gaffe sur les Yvettes a profité au mouvement du NON lors du référendum de 1980.

Dans les années 80, elle a utilisé le personnage de Jean-Paul Belleau dans Les dames de coeur pour dire à quel point les femmes ne devaient plus être les victimes des manipulateurs.

Aujourd'hui, c'est son manque de jugement et sa prétention qui font avancer la cause des gais.

Merci, madame Payette !