Il y a un principe en journalisme qui dit qu'on ne peut pas écrire sur un événement si on en fait partie. Si on y a joué un rôle. On ne peut pas rapporter sur soi-même. C'est la seule raison pour laquelle je n'ai pas signé la déclaration commune signée par des centaines de femmes québécoises et intitulée Et Maintenant. Je préférais pouvoir en parler, dire ici à quel point elles ont raison.

Aurélie Lanctôt et Léa Clermont-Dion, deux jeunes féministes qui font partie des instigatrices - avec les journalistes Francine Pelletier et Josée Boileau, l'ancienne politicienne Françoise David et la professeure Élisabeth Vallet - ont annoncé son existence hier soir à Tout le monde en parle. Ceux et celles qui le veulent peuvent signer cette lettre sur etmaintenant.net et en connaître les détails. 

Toutes sortes de gens que j'admire l'ont paraphée : de la comédienne Anne-Marie Cadieux à la pionnière féministe Michèle Stanton-Jean, en passant par la cinéaste Micheline Lanctôt, l'animatrice Mitsou et la jeune chanteuse Charlotte Cardin.

Et Maintenant n'est pas un pamphlet incendiaire, loin de là.

Ce n'est pas une réponse enragée à la lettre publiée la semaine dernière dans Le Monde, cette missive signée par 100 femmes semblant surtout bien inquiètes de l'impact du #moiaussi sur l'avenir de la drague, qui a tant ébranlé les victimes d'agressions sexuelles. Au point, d'ailleurs, où une des signataires, Catherine Deneuve, a fini par s'excuser auprès d'elles hier.

La lettre des Québécoises, avec son coeur jaune symbolique, je la lis plutôt comme un appel doux, clair, ferme, généreux à la solidarité entre femmes et hommes de bonne volonté en quête d'un monde meilleur.

Un monde sans abus de pouvoir, où le respect remplace le mépris, où l'égalité remplace la peur, où la parole remplace le contrôle. Où le flirt consensuel existe, mais pas l'agression.

C'est le monde qu'on va essayer, tous ensemble, de construire maintenant. Maintenant que l'affaire Weinstein et le dévoilement de bien d'autres horreurs par la suite ont établi une fois pour toutes que l'abus de pouvoir imposé par le sexe, de l'inconduite pétrifiante au viol, existe bel et bien et bien plus qu'on a voulu l'avouer à travers les âges.

Parce que nous, les femmes, nous, les victimes, n'avons pas inventé tout ça dans notre tête. C'est arrivé, ça arrive, ça fait partie de nos vies, ça a façonné nos carrières, notre estime de nous-mêmes, notre front, notre courage, notre voix, nos joies, nos peines, notre capacité de grandir et de continuer, notre volonté de dire non et de dire oui. Nos amies, nos collègues, nos thérapeutes, les membres de nos familles, tous ceux qui ont pris la peine de nous écouter et de nous regarder aller le savent. L'abus de pouvoir sexuel n'est pas qu'un événement douloureux ponctuel et on n'a pas encore assez parlé, d'ailleurs, de ses conséquences à long terme.

Il fait mal, brise, affecte, ronge, il détourne de l'énergie qui aurait dû servir à bâtir de grandes choses en énergie pour survivre. Parfois on s'en remet, parfois pas vraiment. Jamais on n'oublie.

Il faut donc que ça cesse. Pour construire une meilleure suite du monde pour tous.

C'est tout ce que le mouvement #moiaussi cherche à dire, et ce que #etmaintenant affirme maintenant aussi.

Si le #metoo et le #etmaintenant demandaient, imploraient le monde de mettre fin aux cambriolages, vols, braquages, au recel, aux escroqueries, au vandalisme et compagnie, personne ne répondrait : «Mais on fait quoi alors avec les cadeaux? Et les prêts et les échanges, vous voulez la fin de ça aussi?»

Bien sûr que non.

Les instigatrices de tous ces mouvements et les victimes ne demandent que la fin de ce qui est abusif et néfaste. Ça devrait être simple à comprendre et à accepter.

Mais ça ne l'est pas pour tous.

Les colonnes du temple ont été ébranlées. Ceux qui ont profité du passé sont choqués. On a finalement commencé à nommer l'abus là où tant, tant, tant de gens en position de pouvoir ne voulaient pas qu'on le voie, s'imaginaient si puissants que jamais personne n'oserait l'identifier. C'est ça qui a changé.

Et c'est ce qui est difficile.

Parce que ceux qui ont abusé du système ne sont pas sur une autre planète.

Vous les connaissez. On en connaît tous.

La suite des choses ne se fera pas toujours dans le calme. Il y aura des accrochages. Des remises en question. Mais aussi, comme l'a bien décrit hier Aurélie Lanctôt à Tout le monde en parle, des prises de conscience réconfortantes, lucides, généreuses et porteuses.

On est capable de passer à une autre étape égalitaire. Notre civilisation évolue. Regardons tous les progrès d'acceptation de la différence, de l'égalité, du respect qu'on a faits! Des horreurs tolérées jadis ne le sont plus. Le monde n'est même plus ce qu'il était quand je suis née. On a appris, on a grandi.

Le monde est beaucoup, beaucoup mieux qu'il l'était.

Il peut l'être encore plus.