Simon Proulx des Trois Accords ne se souvient pas d'une époque où le modèle d'affaires de l'industrie musicale n'était pas en crise, ou, du moins en changement. « Est-ce qu'il y a vraiment eu une époque stable ? », demande-t-il au bout du fil.

« Nous, on est arrivés il y a 12 ans, et depuis, ça change tout le temps. »

Quand Hawaïenne et Saskatchewan ont commencé à nous faire chantonner de joie en rigolant, on était dans la crise Napster, ce service de partage de fichiers audio en ligne qui permettait à des centaines de milliers d'internautes d'écouter de la musique gratuitement, en faisant fi des droits d'auteur. À l'époque, écouter de la musique sur l'internet plutôt que sur des CD était totalement révolutionnaire. Ne pas payer ? Une hérésie troublante et inquiétante.

A suivi la mise en place des boutiques de vente de musique en ligne, comme iTunes, qui permettaient d'acheter légalement des chansons à la pièce, sur l'internet. L'industrie réalisait alors qu'il serait impossible de retourner sur le chemin unique des supports matériels. La révolution était bien en marche. L'acquisition de contenus musicaux était solidement en transformation.

Et puis, tranquillement, juste quand on commençait à comprendre comment fonctionnaient nos bibliothèques musicales virtuelles, les services de « location » de musique en ligne sont arrivés. Je dis « location » parce que ça me semble la meilleure image - on achète le droit d'écouter temporairement une pièce - pour décrire les services de streaming. L'expression anglophone est souvent traduite par « écoute en continu », mais la caractéristique de ce type de service est surtout le caractère passager du droit d'écoute. On paie pour avoir accès, durant une période déterminée par les tarifs, à une bibliothèque musicale dont la collection ne nous appartiendra jamais.

La nouveauté statistique des dernières années, c'est que la fréquentation de ces services - le principal, Spotify, est au Canada depuis 2014 - est en hausse marquée. C'est ce qu'explique l'article de mon collègue Karim Benessaieh.

Et évidemment, plus on passe de temps sur Spotify, moins on a besoin d'acheter des chansons ou encore de bons vieux CD.

Spotify verse de vraies redevances aux artistes dont les oeuvres sont diffusées, pas mal plus que YouTube d'ailleurs, un des gros angles morts de l'écologie musicale actuelle. Mais Spotify ne les paie pas beaucoup, malgré leurs efforts. L'Association québécoise dans l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) trouve que le paiement de ces droits devrait être renégocié à la hausse, explique Solange Drouin, directrice générale de l'organisme.

« Oui, c'est maigre, confirme Simon Proulx. Faut pas compter là-dessus. »

Sauf qu'en parallèle, les ventes de disques baissent, baissent... Mais est-ce l'unique facteur, demande le musicien, la carrière de tout artiste étant toujours en flux ? Et la tendance étant générale...

Alors sur quoi compter ?

Selon Mme Drouin, il faut que le gouvernement canadien accepte l'idée et manifeste la volonté de réglementer les services de contenu en continu pour exiger que le matériel canadien soit mis de l'avant, dans le même esprit que ce que l'on fait avec la radio. Selon elle, il y a moyen légalement de le faire, avec un peu de détermination politique. Et cela pourrait hausser les ventes.

Autre idée : demander aux fournisseurs de services internet, donc au monde des télécommunications canadiennes, d'investir dans le contenu, comme ça se fait déjà avec le câble et la radio. Du contenu dont leur viabilité commerciale dépend, puisqu'on va beaucoup sur l'internet, comme on va vers la radio ou la télé, pour avoir accès à la culture d'ici.

« C'est cool comme réflexion. C'est bien, la volonté de faire quelque chose pour maintenir la diversité. »

- Simon Proulx

Actuellement, en effet, le modèle Spotify rapporte gros à seulement quelques artistes hyper populaires. Veut-on laisser ce système ramener tous les revenus à une poignée de vedettes ? Et donc mettre en péril la multiplicité de contenus...

Pour Simon Proulx, les musiciens aujourd'hui doivent naviguer à travers tous les canaux, trouver leur modèle d'affaires, même voir comment les changements technos peuvent ouvrir de nouvelles avenues pour stimuler l'intérêt pour la musique.

Les Trois Accords, eux, ont une approche claire : ils font des spectacles, ils sont continuellement en tournée, et leurs cachets augmentent !

Est-ce que le streaming permet d'aller chercher de nouveaux publics ? Peut-être. En tout cas, dit Proulx, les prix des concerts sont à la hausse.

« Depuis le début, on se fait dire que les ventes d'albums sont en baisse », dit-il. Et Mme Drouin le confirme. En 25 ans, l'industrie musicale mondiale s'est effondrée. Elle valait 40 milliards, elle vaut maintenant 15 milliards.

Quand un disque vend 500 000 exemplaires à l'international, c'est la fin du monde. Jadis, on parlait en millions.

Ainsi, la diminution des ventes fait partie de la réalité avec laquelle les musiciens des Trois Accords composent depuis leurs débuts. « Et nous, on fait de la musique dans cet univers... Donc je ne suis pas alarmiste, dit Proulx. Et il y a eu une démocratisation de la musique aussi. Plus de manières de faire de la musique... Ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas revenir en arrière. »