Depuis quelque temps, je l'avoue, j'ai de la difficulté à répondre avec enthousiasme aux étudiants qui m'appellent ou m'écrivent pour me parler du métier ou à ceux qui nous invitent carrément à aller parler du métier à leurs journées carrières.

Entendons-nous, j'adore ma profession et j'aimerais pouvoir souhaiter aux jeunes qui veulent devenir journalistes un beau et long parcours.

Mais la triste réalité, c'est que je me sens comme mon arrière-grand-père Joseph-Edward devait un peu se sentir le jour où il a vu sa première voiture.

Sellier de formation, il avait une entreprise florissante de harnais de cuir et autres sangles. Son marché : les calèches et n'importe quoi de tiré par un cheval.

Imaginez.

L'histoire finit plutôt bien, parce que l'entreprise a traversé la transformation totale des moyens de transport et existe encore. Elle produit maintenant notamment des harnais utilisés dans certains métiers de la construction.

Mais Joseph-Edward et son fils Gérard, mon parrain et grand-oncle, celui qui a pris la relève dans ce nouvel univers motorisé, ne sont plus là pour me remonter le moral quand les mauvaises nouvelles sur l'avenir financier des médias se mettent à pleuvoir, comme ç'a été le cas hier. Et surtout pour nous expliquer comment ils ont fait pour garder le cap et s'ajuster alors que le monde faisait face à une révolution et que l'essence même de leur modèle d'affaires prenait le bord. Comment, bref, faire les deuils essentiels pour sauter vers l'avenir ?

Les médias traditionnels récoltent et proposent de l'information hautement valable, comme d'autres produisent des sangles. Comment, maintenant, peut-on, doit-on en faire le commerce ?

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Prenons le problème à l'envers.

Avant, je payais pour recevoir La Presse à la maison et je regardais la télévision en me tapant les publicités. Aujourd'hui, je regarde ma Presse+ gratuitement et je ne regarde presque plus la télé traditionnelle. Je préfère Netflix, les séries de Showtime ou de HBO. La pub qui me rejoint, elle est sur le web - je suis la victime parfaite des cookies - ou encore sur Instagram, où des personnalités que j'aime bien partagent leurs derniers achats plus ou moins commandités... De l'argent pour des abonnements ? J'en donne à iTunes quand j'achète des téléséries, j'en verse à Netflix, à Spotify.

Je pourrais ne rien payer et choisir plutôt des produits piratés, mais le faible prix des abonnements et la qualité du service réussissent à me convaincre de dépenser.

Pourquoi est-ce que je ne ferais pas exactement la même chose pour un service de nouvelles fiable, intelligent, généreux ?

Pourquoi, pour l'information, la gratuité s'est-elle imposée de la sorte ?

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Les théories et les analyses de la situation abondent. Une de celles que j'aime bien vient de Robert Picard, chercheur d'Oxford, de Yale et du Reuters Institute, spécialiste de l'économie des médias, qui croit que le problème fondamental du modèle d'affaires des médias traditionnels est qu'ils dépensent trop de ressources à essayer de répondre aux besoins de la partie de leur clientèle qui ne veut pas payer pour leur contenu.

Selon lui, les médias devraient plutôt se concentrer sur ce qui leur rapporte, sur ce que veulent les gens prêts à payer.

Le problème : il y a déjà une tradition de gratuité dans l'information sur le web qui s'est ancrée encore plus solidement que pour bien d'autres contenus... Et une salle de nouvelles, une vraie qui fait bien son boulot, ça coûte cher.

Netflix, iTunes et Spotify ont des concurrents, mais ils se sont imposés dans leur marché. Et les faibles coûts pour nous, disons les 10 $ par mois qu'on verse à Netflix, deviennent des millions et des millions vu l'immensité de leurs auditoires, ce qui permet à Netflix, par exemple, de produire du contenu différent et unique pour ensuite consolider sa présence, etc.

Pour les médias, la situation est différente. Il n'y a rien de plus morcelé, de plus spécifique qu'un besoin d'information. Oui, Netflix doit faire face à la spécificité de la demande culturelle québécoise - on aime nos séries -, mais ce n'est pas précis comme pour l'information.

On peut adorer des géants comme le New York Times ou le Guardian, mais ce ne sont pas eux qui vont nous parler de Denis Coderre ou Safia Nolin.

Et peut-on faire vivre un média payant façon Financial Times ? Impossible vu la grosseur de notre marché francophone. À moins qu'on ne cherche à vendre à toute la francophonie, mais encore là, la question de l'intégration du marché local et du besoin d'information taillée sur mesure pour les communautés s'impose.

Bref, l'analyse du professeur Picard ne parle que d'une partie du monde de l'information avec son modèle de niche sophistiquée payant, séduisant, mais difficile à considérer comme réaliste.

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Où est l'argent dont on a besoin pour faire fonctionner les médias d'information traditionnels ? Il était avant en partie chez les abonnés, dans le cas des journaux, et en partie chez les annonceurs. Maintenant, la gratuité s'est imposée et la publicité est un point d'interrogation constant.

Hier, le New York Times a annoncé une baisse de revenu publicitaire de 8 % au dernier trimestre parce que même si les revenus des annonces numériques augmentent, ce n'est pas suffisant pour combler la dégringolade de la pub imprimée : 19 % au troisième trimestre, 14 % au trimestre précédent...

Une partie de la réponse est simple et déroutante : une grosse moitié de l'argent publicitaire s'en va maintenant chez Google et chez Facebook.

Il y a quelques semaines, au Royaume-Uni, un ancien rédacteur en chef du Guardian, appelé à parler de la situation des médias par le Financial Times, a accusé Facebook d'avoir pris à lui seul un cinquième des revenus publicitaires qu'attendait le journal. « Ils prennent tout l'argent [...] et cela va s'aggraver », a-t-il prédit.

Généralement, les analystes affirment que Google et Facebook ensemble accaparent maintenant plus de la moitié des revenus publicitaires américains.

Que peuvent et doivent faire les médias traditionnels avec ça ?

Suite dans une autre chronique, dès que j'ai un début de réponse... Souhaitez-moi bonne chance.