Le nom le plus souvent associé à la fondation du Cirque du Soleil est sans aucun doute celui de Guy Laliberté, mais on se doute bien qu'une telle entreprise n'est pas née des efforts d'une seule personne. À ses côtés, dès le début, il y avait aussi Gilles Ste-Croix, le père de la troupe Les Échassiers de la Baie, avec qui l'ancien cracheur de feu s'est associé pour lancer cette entité circassienne nouveau genre - oui aux acrobates et aux clowns, mais non aux animaux - qui ferait des spectacles sous un chapiteau à rayures jaunes et bleues.

Gilles Ste-Croix est resté avec le Cirque du Soleil pendant 30 ans, de la naissance de l'entreprise en 1984 jusqu'à ce qu'il parte à la retraite en 2014, après avoir piloté spectacles, croissance folle, échecs, triomphes, rencontres historiques et coups de génie entre vents et marées. Ce mois-ci, il publie ses mémoires aux Éditions La Presse, Ma place au soleil. J'en ai profité pour lui demander cinq conseils qu'il donnerait à de jeunes entrepreneurs rêvant de lancer le prochain succès québécois de l'envergure du Cirque.

« Il ne faut pas avoir peur de bluffer. Il faut avoir l'audace de bluffer. » Même si on ne sait pas tout en commençant, ce n'est pas grave. Parfois on peut faire un pas dans le vide, sans filet et sans tomber. « Tu as un peu d'expertise ? Tu bluffes et t'apprends après. Mais t'apprends. Parce que pour avancer, il faut travailler et assumer son bluff. » En d'autres mots, on n'est peut-être pas expert dans tel ou tel domaine au moment même où l'on scelle une entente, quand on fait une promesse, quand on s'engage dans un projet, mais on a peu de temps pour le devenir, rapidement, par la suite. « L'histoire du Cirque du Soleil est une histoire d'audace. On était des hippies, des amuseurs de rue qui se sont installés sous un chapiteau. On n'avait pas de plan d'affaire. On s'est créé nos jobs. On espérait que ça roule... » Guy et moi, poursuit Gilles Ste-Croix, « on s'est reconnus ». Deux bluffeurs prêts à tout essayer et à beaucoup travailler.

Savoir acheter les bonnes idées à bon prix. « Il faut reconnaître les gens qui apportent de bonnes idées, leur donner le crédit, bien les payer », explique Gilles Ste-Croix. Selon lui, c'est l'ingrédient crucial de bien des entreprises qui vivent de leur capacité à repenser le monde, à réinventer ce qu'on croit des évidences. Payer pour cela assure la loyauté de ces créateurs, la qualité des concepts, l'harmonie dans l'entreprise. « Tout le monde voulait venir travailler au Cirque, les meilleurs, parce qu'on payait bien notre monde », dit l'homme d'affaires créateur. Cher, tout ça ? Pas particulièrement si la qualité du produit dépend de la qualité des idées, si cet intrant est intégré au budget du projet dès le début.

Redonner, collaborer, aider le secteur dans lequel on travaille pour ne pas encourager de concurrence malsaine. « Par exemple, on a investi dans le Cirque Eloize quand il y a eu un risque qu'il parte aux États-Unis », raconte-t-il. Gilles Ste-Croix préférait que l'entreprise reste ici et que le secteur du cirque demeure fort au Québec. Tout le monde alors en profite, notamment pour tout ce qui touche la main-d'oeuvre. Toute entreprise profite de ne pas être totalement isolée dans son secteur. 

Être très informé dans tout, tout le temps. Être avide d'informations en tous genres. Toute entreprise est alimentée par des idées qui viennent de partout, pas seulement des congrès et des publications spécialisées dans le domaine qui la concerne directement. « Il faut amener dans sa tête des idées dont on ne sait pas ni où ni quand elles vont nous nourrir », explique Gilles Ste-Croix, qui dévore les spectacles partout dans le monde mais aussi les expositions d'art contemporain et les actualités, que ce soit les nouvelles à CNN ou les grands dossiers politiques du New York Times

Se faire confiance. « Il est correct de douter. Et de permettre aux gens qui nous entourent de nous faire douter de nos idées, explique-t-il. C'est essentiel pour avoir de bons débats intérieurs ! » Et il faut aussi tenir compte du feed-back. Mais une fois toute cette interaction avec l'extérieur terminée, c'est soi-même qu'on doit croire.