Martin Beauvais n'est pas super emballé par la tournure des événements depuis quelques années dans le monde de la publicité.

« Ça change et ça change de plus en plus vite. Et pas pour le mieux », lance le Québécois fondateur de l'agence Open à Toronto.

« C'est pas que j'aurais voulu être un artiste », répond-il quand je lui fais remarquer que son discours me fait penser à la fameuse chanson Le blues du businessman. « C'est qu'on est de moins en moins artistes. Et de plus en plus scientifiques. » De moins en moins Don Draper, de plus en plus AlphaGo....

Or Martin Beauvais fait partie de cette génération de créateurs publicitaires qui ont bâti leur carrière sur l'art de séduire, que ce soit par des pubs à la télé ou par de l'affichage, à l'époque où il fallait amener les consommateurs vers les produits et services, leur raconter une histoire, leur faire la cour. Plusieurs se souviendront de lui sans le savoir : c'était Beauvais le penseur derrière les magnifiques campagnes publicitaires pour le lait qui ont gagné tant de prix et nous ont fait redécouvrir la chanson française à la fin des années 90. Disons qu'Adamo lui en doit une.

Et disons aussi que, comme opération pour convaincre le public de consommer plus de lait, on était loin des clichés d'Instagram, de Pinterest et des fenêtres publicitaires sur mesure de l'internet qui sont devenus la norme aujourd'hui. Vous rappelez-vous de cette campagne ? On était dans le film, l'onirique, le nostalgique. Il y avait aussi de l'affichage rigolo avec des biscuits qui se dévoraient eux-mêmes avec un bon verre de lait. Le produit se donnait des airs d'enfance parfaite. Et on y rêvait en écoutant Joe Dassin.

Aujourd'hui, pour remplir de tels objectifs, peut-être qu'on verrait Marie Mai ou Charlotte Cardin en train de se prendre en selfie en flagrant délit de verre de lait. Et ça aurait l'air spontané, mais peut-être que tout aurait été arrangé.

Ou alors, on enverrait des messages publicitaires sur l'internet à tous ceux qui surfent pour des recettes de biscuits dans les innombrables sites de recettes... « Vous n'avez pas envie d'un petit verre de 2 % avec ça ? »

« Il y a de la créativité avec ces nouvelles approches, mais ça n'a rien à voir avec ce que c'était dans la pub avant internet, dit le publicitaire. Et regardez ce qui a gagné et nous a marqués encore au festival de pub de Cannes cette année. Ce sont surtout des campagnes traditionnelles. » - Martin Beauvais, fondateur de l'agence Open à Toronto

Le coeur des grands créateurs publicitaires logerait-il toujours au même endroit ?

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En fait, aujourd'hui, dit le fondateur d'Open, la séduction a laissé place à un autre art, infiniment plus technique et mathématique : celui de comprendre les données que l'internet permet de récolter sur les consommateurs pour viser toujours plus juste et aller les chercher là où ils ont déjà fait le choix d'aller.

« Et le pire, c'est que c'est un système qui marche, j'en profite moi-même », explique-t-il.

Beauvais raconte que récemment, avant d'organiser ses vacances estivales, il a cherché toutes sortes d'informations sur le web au sujet d'une destination sans nécessairement acheter quoi que ce soi, mais les « cookies » et les algorithmes ont permis aux vendeurs de cette destination non seulement de savoir qu'il voulait y aller, mais de lui proposer des rabais.

« Ils n'avaient pas à me convaincre d'aller chez eux, ils savaient déjà que j'étais intéressé par leur hôtel. Leur seul travail, c'était trouver l'offre que je ne pourrais pas refuser. »

Et c'est ce qui s'est passé. Beauvais a attendu un peu, sans faire nécessairement exprès, et les propositions publicitaires lui sont arrivées tout cru dans le bec, avec des prix nettement inférieurs. La vente s'est ainsi scellée. « Et j'ai eu exactement ce que je voulais. »

Mais l'art de la séduction se joue donc ailleurs, en amont, pour influencer la décision, justement, de chercher des informations sur cette destination en particulier.

Et là aussi, tout change.

Et passe par les réseaux sociaux encore et encore. C'est le buzz du moment, avec Instagram en avant-plan.

Et là encore, la créativité n'a pas beaucoup de place. On demande plutôt à des mannequins et d'autres vedettes comme Kendall Jenner ou Cara Delevingne de porter un vêtement en échange de dizaines, voire de centaines de milliers de dollars et hop, le tour est joué.

« Là-dessus, il y a probablement 80 % de l'auditoire qui est "on target" et elle a des dizaines de millions de "followers" », dit Beauvais. L'investissement en vaut la peine.

Sauf que personne ne gagne de prix à Cannes avec ça.