Karine Trépanier et Hugo Dozois-Caouette pourraient très bien faire partie de la comédie de HBO Silicon Valley. Vous savez, celle sur les jeunes qui développent des applications, tous empilés dans des maisons de Palo Alto ou de Menlo Park, espérant chaque jour trouver le filon, l'investisseur, l'acheteur qui fera d'eux le prochain Mark Zuckerberg ?

Karine et Hugo sont aussi jeunes, ils habitent ensemble depuis mai 2015, avec d'autres gens de techno, dans un appartement de San Francisco avec vue sur Alcatraz, qui leur sert en même temps de bureau. Ils sont dans la vingtaine. Et ils cherchent ensemble à développer l'application Voo dont ils espèrent qu'elle deviendra une sorte de Uber ou d'Airbnb des restaurants et des bars, mais ultimement de tout commerce de quartier.

« On est une équipe de quatre personnes », explique Karine, 27 ans, diplômée en génie informatique de l'Université de Sherbrooke.

« On a des investisseurs, des "anges" privés. Et ils nous ont donné du temps. On se donne un an pour développer notre app. On travaille fort. »

- Karine Trépanier

Le but de leur produit ? Permettre aux clients et aux restaurateurs de tirer profit des moments où les établissements sont le moins occupés en faisant circuler cette information, en mettant en contact l'offre et la demande plus efficacement que jamais grâce à la techno.

En d'autres mots, si vous avez un bar qui est tout le temps à peu près vide le lundi soir, Voo peut vous mettre en contact avec des gens qui sont prêts à sortir le lundi soir. C'est à vous qu'il incombe ensuite, si vous êtes commerçant, de trouver une façon d'attirer cette clientèle. Les gens de Voo parlent de rabais, de formule deux pour un, etc.

« On vise le marché des habitués, explique Karine. Ce n'est pas une app de découverte. C'est un app de maximisation des ressources. »

Et comme bien des commerces ont des coûts fixes, ils n'ont qu'intérêt à aller chercher des clients, même à prix réduits, les soirs où les revenus sont minimes, explique Hugo, 24 ans, lui aussi diplômé de la faculté de génie informatique de Sherbrooke.

Comment les deux ont-ils abouti à San Francisco ? D'abord, ils se connaissent depuis leurs études à Sherbrooke et les deux ont travaillé chez Autodesk à Montréal.

Ensuite, pour venir ensemble lancer ce projet, ils se sont procuré des visas de travail délivrés en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain.

Et ils sont associés avec un troisième Canadien, Christian Turlica, 26 ans, diplômé en finances de McGill, qu'Hugo avait rencontré dans une « hacker house » - une maison-dortoir remplie de jeunes développeurs venus travailler dans le centre névralgique mondial de l'informatique - alors qu'il était en stage d'un an chez Autodesk à San Francisco. « J'adore la ville », dit l'informaticien. Dès ce premier stage, l'idée d'y rester s'était vite installée.

Les trois Canadiens savent qu'ils n'ont pas, à strictement parler, à être à San Francisco pour développer leur projet. À l'heure de FaceTime, Skype ou Slack - logiciel de travail en équipe à distance - ils pourraient très bien être installés à Montréal, où le loyer serait pas mal moins cher. À San Francisco, ils paient 4500 $ US par mois pour leur trois et demie, tandis qu'une chambre dans un appart vaut facilement 2200 $ US par mois et un simple lit dans une « hacker house », 1500 $ US par mois....

« Mais la qualité des rencontres ici vaut cher. C'est ça l'avantage d'être à San Francisco. C'est le réseau. » - Hugo Dozois-Caouette

Selon Karine, l'autre avantage de leur projet, c'est qu'ils en sont les principaux maîtres d'oeuvre technologiques. Le modèle d'affaires leur permet ainsi d'avoir des coûts beaucoup moins élevés que bien des entreprises en démarrage semblables dans Silicon Valley. « On ne se paie pas de salaire. Disons que ça réduit pas mal les coûts ! »

Avec les 400 000 $ amassés auprès d'investisseurs privés, ils veillent donc essentiellement sur leurs dépenses en infrastructures - les serveurs - ils financent les outils - ordinateurs et licences de logiciels. Ils ont aussi quelques frais de marketing et de publicité. « Mais le gros du budget, ajoute-t-elle, va à payer notre loyer et à nous nourrir pendant qu'on travaille. »

À San Francisco, le coût de la vie est élevé, mais en même temps, l'économie de la start-up est si présente que s'y est créé un univers parallèle du prix réduit.

C'est à cet univers que l'application Voo se destine, notamment. Et c'est cette nécessité de faire baisser les coûts et de répartir les dépenses qui a poussé l'émergence de l'économie dite de partage. On loue son logement quand on n'y est pas avec Airbnb, on loue sa voiture avec Turo, on partage ses outils, on s'abonne à des centres de travail collectif comme WeWork ou Rocketspace.

Et Hugo ajoute qu'il commande à manger chez FastBite, un service de livraison de nourriture qui propose des plats à prix très bas en s'associant à des restaurateurs en quête d'optimisation de leurs ressources. Leurs menus sont donc très courts, souvent quatre options, c'est tout. « Mais quand on peut avoir un repas à 8 $ livré en 10 minutes, c'est intéressant », dit Hugo.

L'entreprise naissante a été rachetée par Caviar, qui a été acheté par Square, le leader du paiement par carte de crédit sur téléphone mobile. Le genre d'histoire qui inspire les Québécois de Voo.

Photo fournie par Voo

L’application Voo viserait à permettre aux clients et aux restaurateurs de tirer profit des moments où les établissements sont le moins occupés en faisant circuler cette information.