On a beaucoup écrit depuis 10 jours sur les conséquences agricoles d'un potentiel Brexit pour le Royaume-Uni, pour l'Europe et pour le Canada, car nous aussi, cela nous concerne.

L'Accord économique et commercial global négocié entre Ottawa et l'Union européenne (UE) devait être ratifié en 2017 et ouvrir la voie à de nouvelles règles d'échange entre le Canada et l'Europe, notamment pour tout ce qui touche l'agroalimentaire. Inutile de dire que dans les circonstances actuelles, on ne peut s'attendre à ce que ce dossier poursuive doucement et sereinement son cheminement, du moins à court terme.

Disons plutôt que l'UE a d'autres chats à fouetter.

Est-ce une mauvaise nouvelle ?

Oui pour les entreprises qui comptaient sur l'ouverture de nouveaux marchés, mais ce n'est pas tout le monde qui adore les traités de libre-échange. Dans le domaine agricole, surtout chez les petits et moyens producteurs, on se méfie souvent de ces traités qui favorisent la très libre concurrence et ouvrent la porte vers des dizaines de millions de nouveaux consommateurs, certes, mais poussent aussi souvent les secteurs économiques, quels qu'ils soient, vers la concentration et la consolidation.

Quand on voit des fraises américaines à prix très bas dans les supermarchés de Montréal en juin, comme c'est le cas actuellement, alors qu'on est en pleine saison ici, on peut imaginer la frustration des petits producteurs contre le libre-échange avec les États-Unis.

L'analyse des résultats du vote montre d'ailleurs que même dans le Royaume-Uni, les agriculteurs ont appuyé la sortie de l'Union européenne. Dans certaines régions, on parle d'un appui pro-Brexit à 75 %. Eux aussi étaient exaspérés par les traités de libre-échange.

Étonnant ?

Oui et non.

Oui parce que le secteur agricole britannique recevait près de 3 milliards de livres sterling (autour de 5 milliards CAN) en paiements directs aux fermiers, une somme colossale. La Politique agricole commune (PAC), une des plus anciennes de l'Union européenne - qui s'appelait d'ailleurs jadis tout simplement le Marché commun -, représente 45 % du budget total. Elle est au coeur de l'union.

Bien des fermiers d'ici envient leurs collègues européens qui occupent une place sociale, politique, culturelle bien différente de la leur et reconnue au sein de l'UE. Parlez-en aux agriculteurs québécois qui rêvent de voir leur travail et leur importance patrimoniale reconnus par des appellations d'origine contrôlées, notamment, comme c'est le cas en Europe, et qui aimeraient bien profiter de politiques pro-conversion au biologique de la même générosité. Et c'est sans oublier le soutien financier direct venu de Bruxelles.

Mais la réalité, c'est aussi que la politique agricole- commune enrage bien des agriculteurs européens.

On n'a qu'à regarder les nouvelles estivales en France, par exemple, pour le voir. Chaque année, c'est la même chose. Les producteurs laitiers et compagnie font des coups d'éclat pour dénoncer un système qui ne les satisfait pas, qui ne leur permet pas de gagner leur vie normalement.

Et dans leur viseur il y a, toujours, la fameuse PAC.

La PAC, qui a engendré un système où les prix sont toujours trop à la baisse, croient-ils. Et qui les oblige à suivre des règles souvent incroyablement tatillonnes. Pour uniformiser le marché, l'Europe et ses bureaucrates ont en effet pondu des montagnes de règles régulièrement dénoncées pour leur apparente absurdité, mais qui n'en régissent pas moins le quotidien des paysans.

Quand on plonge dans ces listes interminables, on apprend, par exemple, qu'une clémentine peut avoir jusqu'à 10 pépins - pas 9, pas 11 - et être considérée « sans pépin », ou que les pêches ne peuvent avoir plus de 1 cm2 de défaut pour être considérées de catégorie I. C'est 2 cm2 pour la catégorie II et ainsi de suite. Et c'est sans parler des exigences pour la taille du fruit qu'on calcule en grammes et au millimètre près...

En plus d'entraîner beaucoup de gaspillage, que les fermiers, associations de consommateurs, gouvernements, supermarchés de plusieurs pays essaient maintenant de limiter, ces exigences de « qualité » augmentent considérablement la tâche des agriculteurs, transformés en cols blancs.

Et c'est sans parler aussi de la réglementation sur les normes de production qui, au dire de certains agriculteurs français interviewés il y a quelques mois, donne constamment l'impression qu'on les considère comme des « pollueurs et des voleurs ».

Est-ce une raison pour demander un retrait du marché commun européen ?

Non, a répondu le grand syndicat agricole anglais et gallois, le National Farmers Union, tandis qu'on prévoit déjà une augmentation des prix alimentaires au Royaume-Uni où 40 % de la nourriture est importée.

Mais cette opinion n'a apparemment pas été retenue par la majorité...

Est-ce qu'un futur gouvernement britannique post-Brexit subventionnera l'agriculture de la même façon que Bruxelles ?

Comment se fera la transition post-Europe pour les fermiers qui dépendent de leur chèque de la Politique agricole commune ?

Est-ce que le Royaume-Uni va plutôt se tourner vers les États-Unis pour compléter son offre alimentaire ? Les producteurs canadiens - et québécois - auront-ils quand même des occasions d'affaires là-bas si le marché fonctionne différemment ?

Personne ne le sait encore. Surtout que chaque jour, la situation politique semble de moins en moins claire à Londres... Même le leader du camp pro-sortie de l'Union européenne, Boris Johnson, a annoncé mercredi qu'il ne voulait pas diriger le prochain gouvernement chargé de piloter la transition avec les 27 autres pays.

Donc, on est loin d'une sortie déjà ficelée...

À suivre. (En grignotant un morceau de stilton, peut-être ? Ou un scone à la crème du Devonshire ? Ou en sirotant un verre de scotch ?)