Dans une de ses dernières publications, Statistique Canada a rapporté une hausse de 4,4 % des prix des aliments achetés dans les supermarchés, en comparant février 2015 et 2016. « D'une année à l'autre, les prix plus élevés des légumes frais et des fruits frais ont le plus contribué à l'accroissement des prix des aliments », a en outre précisé l'organisme gouvernemental dans sa prose légendaire.

Traumatisés que nous sommes par les choux-fleurs à 7 $ de l'hiver, on y croit aisément.

On a tous l'impression que tout coûte plus cher, trop cher, tout le temps.

Et c'est à cela que veut répondre la chaîne de supermarchés IGA, en mettant en place des réductions de prix costaudes, de 5 % à 7 %, voire plus dans certaines catégories, en vigueur depuis deux semaines.

Vous avez sûrement vu la campagne de pub. Ils appellent ça la « GIGA baisse de prix ». La comprenez-vous ?

Au lieu d'ouvrir des chaînes parallèles au rabais comme l'ont fait les concurrents, IGA veut tout simplement convaincre les consommateurs d'aller chez elle chercher des denrées aux prix de Super C, Maxi, voire Costco.

Est-ce une bonne nouvelle ?

D'abord, précisons-le, IGA ne diminue pas tous ses prix - elle en augmente même plusieurs, comme le rapporte aujourd'hui ma collègue Marie-Eve Fournier.

La chaîne ne touche pas aux prix des produits frais comme la viande et les fruits et légumes.

Les baisses concernent principalement ce qui est offert dans les allées centrales des grandes surfaces : céréales, biscuits, boîtes de conserve, etc.

Ce qu'on réduit, ce sont les aliments que les nutritionnistes conseillent généralement d'éviter quand ils partent en campagne contre le sodium dans les aliments préparés, les gras trans, le gluten comme additif ajouté partout à tort et à travers ou le sirop de maïs.

« Mangez de la vraie nourriture, pas trop, surtout des plantes », dit le gourou de l'alimentation moderne Michael Pollan, de l'Université Berkeley. Quand on écoute les gens comme lui, on fait nos courses principalement sur le pourtour des supermarchés, là où il y a les produits laitiers, les légumes et les fruits, les viandes fraîches. Bref, là où la nouvelle baisse de prix n'a pas lieu.

Donc, analysée de ce point de vue, la stratégie d'IGA ne fait qu'accentuer la faille entre deux types d'alimentation - la chère fraîche et la moins chère moins fraîche. Et donc, elle ne fait qu'augmenter, chemin faisant, le problème de l'alimentation à deux vitesses.

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On parle souvent de la santé à deux vitesses, pour parler de la coexistence du système public avec certains soins privés, mais l'alimentation à deux vitesses est un phénomène semblable qui se développe partout dans les pays occidentaux. Les riches mangent des produits frais, peut-être même biologiques, de meilleure qualité parce que loin des affres de l'agroalimentaire surindustrialisé. Et les moins riches, eux, mangent de la nourriture industrielle bon marché, celle que produisent les fermes-usines où les animaux sont bourrés d'antibiotiques et cie, celles qui fabriquent les produits transformés au rabais, celles où produits chimiques et substituts de toutes sortes - polydextrose ! cellulose ! - permettent de tirer les prix vers le bas.

De façon générale, ce sont ces prix qu'IGA veut faire baisser, tandis que les fraises naturelles locales et les poulets fermiers, eux, ne seront pas touchés.

Comme société, ce qu'on devrait vouloir, ce ne sont pas des rabais faramineux sur les produits industriels transformés. Ce qu'on devrait vouloir, ce sont des produits frais abordables.

Et ce qu'on doit trouver, ce sont des modèles d'affaires qui permettent de produire de la nourriture fraîche et naturelle à prix raisonnable et accessible à tous.

Au supermarché ou ailleurs.

Doit-on lancer, par exemple, toutes sortes de microprojets pour encourager l'agriculture hyperlocale, même en ville ? À Montréal, allez voir aux Habitations Jeanne-Mance les jardins somptueux que les familles immigrantes entretiennent et vous comprendrez. Coûts de transport éliminés, prix de la main-d'oeuvre inexistant puisque les jardiniers sont les consommateurs. On a ici une façon immédiate de diminuer le prix du panier d'épicerie.

Doit-on revoir totalement notre façon de produire et commercialiser les produits agricoles à l'épicerie, afin de réduire les coûts ? Difficile, car chaque économie se fait au détriment des fermiers. On ne veut pas augmenter la productivité pour industrialiser l'agriculture plus encore ou vider les campagnes. On a besoin de plus de fermes pour nourrir une population qui augmente. Pas moins.

Doit-on revoir notre gestion de la production ? Peut-être. Quand on connaît l'importance du gaspillage alimentaire, on comprend aussi les pertes matérielles qui ont un coût que l'on paie tous. Si on pouvait permettre aux cultivateurs de mieux gagner leur vie en acceptant de consommer fruits et légumes moches, peut-être serions-nous tous gagnants.

Le supermarché qui m'impressionnera sera celui qui s'interrogera activement sur ces questions. Et qui sera cohérent.

Car la vraie question, en fin de compte, c'est aussi : n'y a-t-il pas d'autres façons d'économiser qu'en achetant des aliments préparés au rabais ? Posez la question à n'importe quelle famille immigrante habituée à cuisiner ou à nos grands-mères et vous aurez votre réponse : l'économie commence dans la cuisine, en préparant à la maison de bons repas à partir d'ingrédients bon marché, bien traités.

La terre est riche de cultures culinaires « de pauvres » dont paradoxalement on loue aujourd'hui les vertus dans les restaurants les plus huppés.

Spaghetti cacio e pepe, pudding chômeur, soupe à l'oignon, fèves à la paysanne...

À vos calculatrices et vos tabliers.