Si je gagnais plusieurs millions à la loto, je commencerais par renouveler de A à Z ma garde-robe en sous-vêtements Erès et en tenues Céline pour me sentir parfaitement confortablement chic. Ensuite, je m'achèterais une Tesla, de nombreuses oeuvres d'art - un Sarah Lucas ou un Janet Werner gigantesque - et après avoir distribué une partie de mon fric à des causes qui en ont grandement besoin en me prenant pour P.K. Subban, je commencerais à penser peut-être à un voyage gourmand.

Pour le plaisir ?

Oui, mais aussi pour encourager des chefs et des équipes utopistes un peu partout qui veulent changer le monde une bouchée à la fois.

Je pense, par exemple, à Dan Barber, dont le restaurant Blue Hill à Stone Barn, à l'extérieur de New York, n'utilise que des produits venant de la ferme de Blue Hill. Pionnier en matière d'approvisionnement local, Barber fait la promotion de la nécessité de ramener l'agroalimentaire américain à la source. Avec mes millions j'irais manger là-bas avec des entrepreneurs et des chercheurs québécois pour voir comment monter de tels projets ici.

Avec mes millions, j'en profiterais quand même pour arrêter chez Eleven Madison Park à Manhattan, un des meilleurs restaurants au monde, parce que non seulement la cuisine y est hyper bien faite mais parce que le service est tout simplement divin.

Avec mon jet privé, j'emmènerais aussi des chefs québécois chez Noma en Australie, car le géant danois s'est installé à Sydney pour quelques mois. Pourquoi là-bas plus qu'à Copenhague où est normalement l'équipe avant-gardiste ? Parce que le projet de Noma dans l'hémisphère sud consiste à mettre en valeur des produits aborigènes : marsupiaux, insectes, fleurs... Le genre de cuisine qui décoiffe et qui donne des idées aux créateurs de pointe.

Ensuite je demanderais au pilote de mon avion d'en profiter pour faire un détour en Afrique du Sud, où je ne suis jamais allée mais où la cuisine et le vin sont en pleine ascension. Ou peut-être est-ce que je ferais plutôt escale à São Paulo au Brésil où le jeune Alberto Landgraf, chez Epice, prépare une cuisine qui vaut tout simplement le détour et où l'équipe de Gastromotiva de David Hertz mérite que des mécènes l'encouragent : en enseignant la cuisine, elle transforme les favelas.

Un arrêt en chemin pour un petit ceviche chez La Mar à Lima ? Pas une mauvaise idée non plus même si je garderais peut-être mes énergies latino-américaines pour une virée en bonne et due forme à Mexico où officie le chef Enrique Olvera de Pujol. J'adore sa cuisine. Je lui donnerais d'ailleurs quelques centaines de milliers de dollars pour qu'il investisse dans un restaurant de nouvelle cuisine mexicaine à Montréal - comme il l'a fait avec son brillant Cosme à New York - histoire de bien clore le bec aux agents d'immigration canadiens qui lui ont un jour refusé un visa de visiteur. Je ne l'ai toujours pas digéré. Ça me ferait juste trop plaisir de plonger dans mon portefeuille pour leur prouver à quel point ils ont tort de fermer trop souvent nos portes aux talents venus d'ailleurs. Ça, ça ne serait même pas du luxe.

Où célébrer

À Montréal

Toqué !

Cave à vins juste impeccable, service hyper professionnel, décor feutré, menu recherché conçu à partir de produits d'ici, récoltés, pêchés, élevés naturellement... Toqué ! est un incontournable, une des seules tables réellement « luxueuses » de Montréal, avec tout ce que cela comprend de décorum et il est certain que si j'avais à célébrer un grand événement avec un budget illimité j'en profiterais pour m'y poser. Corton Charlemagne et Meursault à volonté, flétan ou thon rouge péchés à la ligne, fraises et framboises, morilles et matsutake canadiens, homard et crème double des Îles. Joie.

restaurant-toque.com

Foxy

Il y en a qui trouvent que la nouvelle table de Dyan Solomon et Éric Girard est un peu chère, mais elle n'est pas luxueuse comme peuvent l'être les tables étoilées Michelin. Cela dit, tout y est particulièrement bon et tellement sympathique que si j'avais à célébrer une belle occasion, sans me soucier du budget, j'y inviterais tous mes proches. Et je réserverais le restaurant au grand complet, en laissant le soin au restaurant de bâtir un menu façon banquet. Salade au canard, poulet rôti, légumes braisés, pains grillés sur le feu de bois, champagne et vins naturels. J'aimerais voir les ados se régaler et je demanderais que Dyan en personne prépare le gâteau au chocolat et au bourbon pour clore le festin. Le luxe de la convivialité sans souci, délicieuse.

foxy.restaurant/fr

Graziella

Il fut un temps où, pour goûter à des produits italiens très fins, il fallait aller au Latini. Aujourd'hui, si je veux manger en ayant l'impression d'être quelque part entre Milan et Florence, je vais chez Graziella. Ce n'est pas une cuisine éclatée ni ostentatoire, mais les plats que préparent Graziella Battista, que ce soit un lapin braisé ou un osso buco fondant sont toujours raffinés et infiniment savoureux. Arrosez le tout d'un super barolo ou d'un brunello de folie et voilà le grand luxe, élégant.

restaurantgraziella.ca

Ailleurs dans le monde

L'Arpège

Tant qu'à avoir un budget illimité, pourquoi ne pas s'offrir L'Arpège, le restaurant d'Alain Passard à Paris ? Pourquoi lui et pas le Pavillon Ledoyen (certes une excellente idée) ou Ducasse au Plaza Athénée (un autre bon plan, notamment parce que le sommelier est génial et saura quoi boire avec vos millions) ? Parce que le menu de ce triple étoilé aux techniques impeccables est rempli de la fraîcheur des potagers privés du restaurant, que la carte de vins compte tous les grands crus français dont vous pouvez rêver ! Mais aussi parce que M. Passard est un bon vivant qui anime les lieux et transforme rapidement son établissement en lieu de fête beaucoup moins coincé que trop de grandes tables françaises très BCBG.

alain-passard.com

Fäviken

Dans la campagne suédoise, au coeur d'une région réputée pour la propreté de ses sols agricoles, à Jarpen, le restaurant Fäviken du chef Magnus Nilsson est un lieu de connaisseurs qui compte à peine plus de 12 places, où il vaut mieux réserver à l'avance. On s'y rend en avion puisque c'est à 700 km de Stockholm, un peu comme en pèlerinage. Au menu : que des ingrédients de la région, préparés avec originalité et une impeccable technique. Flanc au colostrum de vache, moelle de boeuf dans l'os taillé minute, craquelins de sang de porc séché. Le genre de lieu où l'on débarque pour aller au bout d'une expérience, sauna et paysages spectaculaires en prime.

faviken.com

Asador Etxebarri

À une autre époque, je vous aurais dit de noliser un avion pour aller manger la cuisine avant-gardiste de Ferran Adrià. En 2016, le lieu culte pour les gourmets, en Espagne, c'est l'Asador Etxebarri, un restaurant qui ne cuisine que des produits régionaux, situé dans des montagnes spectaculaires à Atxondo, à environ 30 minutes de Bilbao dans le Pays basque. Là, on se régale de grillades et encore de grillades. Tout est exquis, du beurre fumé aux salades de poivrons grillés et aux champignons sauvages, en passant par toutes les viandes les plus délirantes, mais aussi les poissons et les fruits de mer, puisque la mer est à deux pas. À ne pas manquer : la morue au pil pil et les paysages sublimes de cette campagne qui semble flotter au-dessus du temps.

asadoretxebarri.com