Fia Gulliksson est une entrepreneure en série.

Installée à Östersund avec son mari et ses trois ados, au coeur de la voluptueuse région de Jämtland, connue pour ses terres encore propres, ses lacs, ses fermes, ses montagnes et ses centres de ski, à quelque 700 km au nord-ouest de Stockholm, en Suède, - mais ne lui dites surtout pas qu'elle est au milieu de nulle part ! -, elle lance des entreprises. 

Des restos, une société de distribution alimentaire qui vend du thé bio dans tout le pays. Et elle pilote différents projets pour faire la promotion de sa région sur la scène internationale et pour aider le développement économique de sa communauté. Le tout en gérant une entreprise qui chapeaute tout cela et s'appelle « FIA - Food in Action ».

En 2014, Jazzkoket, un de ses restaurants - qu'elle vient de vendre - a été nommé le plus durable, bref le plus écolo de Suède, par le Guide Blanc - équivalent prestigieux et modernisé des guides Michelin version scandinave. Évalué en fonction de ses choix énergétiques, de ses formules d'approvisionnement local, de sa gestion des déchets, mais aussi de son approche face à la gestion du personnel, Jazzkoket a mis, à sa façon, Östersund sur les circuits courus pour les gourmets modernes.

Gulliksson vient d'ouvrir un autre restaurant du même genre dans sa communauté, le Sikåsköket, où le défi était de plaire autant aux clients habitués de l'ancienne cafétéria investie par l'entrepreneure - des personnes plutôt âgées à ne pas déraciner, à ne pas exclure - qu'à une jeune clientèle prête à augmenter nettement l'achalandage pour rendre le mètre carré plus rentable.

Et le défi est en train d'être relevé.

Sa recette pour lancer des entreprises écolos, profitables, en région (ou ailleurs) ?

« En gros, ce qui est essentiel pour lancer toute entreprise, c'est de se fixer des valeurs centrales et de se servir de cela comme contraintes créatives », explique la femme d'affaires, qui était de passage à Montréal la semaine dernière dans le cadre d'un symposium sur la nordicité et la durabilité organisé à l'Université Concordia.

« La durabilité, c'est un cadre qu'on se fixe en premier et dans lequel on choisit ensuite d'évoluer pour trouver des solutions. »

Avec ses cheveux très blonds et ses yeux bleus, habillée avec un t-shirt à larges rayures noir et blanc et un collier de feutrine aux couleurs vives, Fia Gulliksson a l'air sortie directement d'un livre de contes suédois ou d'une pub IKEA, pas d'une manif anti-Davos. On imagine plus aisément cette féministe convaincue appuyer Hillary Clinton que Bernie Sanders. 

Pourtant, son discours est clair : elle affirme d'entrée de jeu que la profitabilité de toute entreprise est cruciale, qu'il faut faire de l'argent, mais que l'argent ne doit pas être au coeur de la mise en place d'une entreprise. La qualité de vie, le respect, le sens de la responsabilité au coeur de l'équipe, toutes ces choses qui font qu'on est heureux au coeur d'une société passent avant, dit-elle. Parce que sans cela, on n'avance pas, on ne prend pas de risques ensemble, on tire dans des directions différentes... Et ça, ce n'est jamais bon pour les profits nets.

Fia Gulliksson a toutes sortes d'idées pour décrire son approche de l'entrepreneuriat.

D'abord, elle encourage tout le monde à embrasser le modèle de la pomme de terre, ce tubercule discret quand il pousse, qui ne correspond pas aux valeurs esthétiques à la mode et mises de l'avant en général, mais qui est néanmoins d'une grande richesse, polyvalence, résilience, et sur lequel on peut toujours compter. 

Bref, préférez être la patate plutôt que le kale ou les graines de chia. Ce n'est pas tout d'être super en vogue, d'avoir les vertus du moment. Il faut savoir durer. (La pomme de terre, croit-elle, doit aussi rappeler à tout entrepreneur du monde alimentaire l'importance de l'agriculture propre et juste, respectueuse de l'environnement, de l'avenir de la terre, du travail des fermiers, etc.)

La femme d'affaires croit aussi que les entrepreneurs doivent se voir comme des agents de CIA. Des gens qui Créent, Imaginent, Agissent... Ou encore qui Collaborent, Implantent et Assistent les autres.

L'intelligence fait aussi partie de sa version du sigle CIA, tout comme la culture. Sans lien avec la culture, les identités des entreprises - et de leurs marques - dérivent... La culture, ce sont les racines des patates.

Bref, Fia croit fondamentalement dans l'importance d'un équilibre entre le rôle du leader comme agent d'action et de changement et de coordonnateur d'équipes. Le prestige ? Pas aussi important que le sentiment de zénitude au travail, d'harmonie, de respect mutuel. Parce que c'est ça, en fin de compte, qui donne vraiment envie de retourner travailler et changer le monde, un resto bio et durable à la fois.