Marie-France Bazzo n'estime pas qu'elle a inventé quoi que ce soit. Ni qu'elle mérite une médaille quelconque pour avoir été «la première femme à...». Reste qu'elle a effectivement marqué le monde de la radio québécoise en étant la première à animer la prestigieuse émission du matin montréalaise de Radio-Canada. Celle de Michel Desrochers, de Joël Le Bigot, de René Homier-Roy...

Son parcours professionnel éclectique, explique-t-elle, a surtout été façonné par la nécessité, celle avec laquelle doivent composer les pigistes de la génération X, aux prises avec l'instabilité. Un job prend fin. Il faut en chercher un autre. Peu importe qu'il s'agisse de critiques de cinéma ou d'autres chroniques culturelles, comme elle en a fait à ses débuts à l'écrit et à la radio, ou de débats politiques, comme elle en faisait à la radio chez Paul Arcand. C'est sur ce terrain que la sociologue de formation a appris à naviguer avec autant d'aisance.

«Il n'y avait pas de voie tracée, de toute façon, explique-t-elle. J'ai été pigiste toute ma vie. Il fallait que je crée ma job.»

Ainsi est née la Marie-France Bazzo qui s'est démarquée sur la scène médiatique québécoise, en faisant tomber les barrières entre des catégories journalistiques trop souvent étanches. Avec elle, depuis toujours, on peut parler de design comme de Moyen-Orient, de publicité comme de philosophie. «Je me suis inventé ce créneau, résume-t-elle, parce que c'était la seule possibilité.»

Il est lundi, il pleut des trombes d'eau sur Outremont, et nous sommes assises aux Fillettes, le restaurant de la rue Van Horne qui occupe l'espace naguère dévolu au Paris Beurre. Celle qui a quitté C'est pas trop tôt en avril, pour des raisons jamais officiellement dévoilées, n'a pas pris son vélo, même si elle est une grande fan de ce moyen de transport, mais plutôt sa belle voiture allemande rouge. «J'aime les chars», lance-t-elle en riant. «Dans mon auto, je réfléchis, j'écoute des podcasts, je trouve des solutions. Je suis dans ma bulle.»

Quand Marie-France Bazzo a accepté de me rencontrer, elle a posé une condition: ne pas parler des circonstances qui ont mené à son départ de la radio, alors que cela ne faisait même pas deux saisons complètes qu'elle animait l'émission du réveil à la première chaîne de la SRC. Celle qui est toujours animatrice de Bazzo TV à Télé-Québec, qui dirige toujours sa maison de production Bazzo TV et qui se lance maintenant dans la publication d'un mensuel web, Bazzo Mag, prolongement écrit et en profondeur des thèmes de réflexion lancés à la télé, où elle écrira des éditoriaux, préfère se borner à confier: «J'ai quitté Radio-Canada en très bons termes, et je suis aussi en très bons termes avec 98,5», cette station de Cogeco où elle a travaillé pendant cinq ans, à l'émission du matin de Paul Arcand.

À l'évidence, elle ne prévoit pas retourner en ondes à brève échéance. «C'est la première fois en sept ans que je peux me lever passé 5h du matin. J'ai hâte d'avoir un automne où je peux commencer à une heure normale et aller travailler à vélo. Et ça fait du bien de ne pas avoir besoin d'avoir une opinion sur tout, tous les matins, tout de suite», explique-t-elle.

Ses opinions, elle les mettra plutôt par écrit une fois par mois, après avoir pris le temps de réfléchir, de prendre du recul, dans ses textes de Bazzo Mag.

«Mais j'aime trop la radio, tient-elle à préciser, pour dire que je n'en ferai plus jamais.»

Entre un oeuf mimosa et un foie de veau grillé, on parle de mille sujets. De mode, notamment. Bazzo a vu le documentaire The True Cost sur le coût humain et environnemental de la «fast fashion», cette mode presque jetable que l'on vend au rabais partout dans les grandes chaînes, à grand renfort de marketing. Et elle en est encore bouleversée. Consommatrice de mode assumée, elle a été secouée par le film, qui enrichira une réflexion qu'elle a depuis longtemps entamée. «Ce sont des thèmes importants. J'essaie de consommer localement, d'être cohérente, bio, etc. Je me parle», dit-elle. «L'abondance de la cheapitude me donne mal au coeur.»

Elle aimerait pouvoir produire de tels documentaires et souhaite que le journalisme en général se préoccupe davantage de ces questions de consommation. «Ça coûte cher à produire, mais ce sont des documentaires qui marchent. Et puis on est prêts à se poser ces questions parce que là, on s'en va dans un mur si on continue de consommer autant.»

Dégâts environnementaux, confrontations humaines entre riches et laissés-pour-compte... «Il faut parler de ces sujets. Avec le sourire. Mais il faut en parler.»

Dans son magazine, ce sera abordé. Comme on y parlera d'éducation, d'environnement, de politique. «Je veux des électrochocs, des réflexions, des chroniqueurs qui posent des questions. Je crois plus aux choses progressives qu'aux grandes ruptures. On va voir. On va pousser la discussion, avoir de l'impact. J'essaie d'apporter modestement ma petite pierre à l'édifice.»