Il fait 30 degrés à la terrasse du Parvis au centre-ville, le soleil plombe et je suis habillée pour le pôle Nord ou à peu près. «Tu n'as pas regardé la météo», me lance Anne-Marie Cadieux en riant. «Tu vas cuire...»

Non, je n'ai pas regardé la météo. Je ne regarde jamais la météo. En fait, la dernière fois que j'ai regardé un bulletin de météo, c'était probablement le sien, du temps où elle jouait Myriam Monette, la super Miss Météo du film puis de la comédie éponyme sur Série+.

C'était il y a 10 ans.

La comédienne n'a pas changé. Toujours la même voix reconnaissable entre toutes, la même silhouette élancée, la même personnalité attachante, le même talent pour l'autodérision, avec ce mélange de gravité et de légèreté qui fait musarder les conversations pendant des heures.

Cadieux est membre du conseil d'administration du FTA, le festival TransAmérique, de danse et de théâtre et de performance, qui commence dans 10 jours, le 21 mai, à Montréal. Elle ne sera pas sur scène cette année - certains se souviendront d'elle au FTA dans la trilogie de Shakespeare de Robert Lepage ou les Sept branches de la rivière Ota, notamment -, mais elle a des billets pour 12 pièces.

Elle est fière de ce festival très populaire, dont les pièces finissent régulièrement par jouer à guichets fermés. Si on lui dit que certains trouvent ce festival un peu intello, elle bondit. «Je ne comprends pas cet argument. «Trop pointu, pas assez accessible.» Voyons donc, les Montréalais voyagent, voient des affaires à Paris, à New York, à Londres. Ils veulent voir des spectacles comme ça ici. Qui a dit qu'on voulait juste des affaires "faciles" ? Et puis, qu'est-ce que ça fait, si c'est "pointu" ? Le public ici en veut, de ça, nos salles sont bondées. Les gens y vont, nos goûts évoluent. On ne veut pas se faire parler comme des enfants qui n'ont jamais lu un livre.»

Cadieux ne veut pas donner son opinion sur tous les sujets que je lui lance, car elle trouve que si les comédiens ont un devoir d'engagement social, ils ont aussi un devoir de réserve. À eux de ne pas surutiliser leur visibilité et leur célébrité pour faire valoir leurs propres points de vue, pas nécessairement plus éclairés que ceux du quidam moyen. Mais quand elle choisit de prendre position sur un sujet, elle s'engage pleinement.

Raif Badawi? Elle demande ouvertement, résolument sa libération et exhorte le premier ministre Stephen Harper à s'engager dans ce dossier. Que le blogueur saoudien, dont la famille est réfugiée ici, soit en prison pour ses écrits et condamné à 1000 coups de fouet la révolte au plus haut point.

«C'est l'horreur totale», dit-elle. «Que Harper n'intervienne pas n'est pas compréhensible. Tout le monde est d'accord pour dire que c'est barbare, ce qui lui arrive.»

Omar Khadr? Elle a été touchée par les propos de ce Canadien fait prisonnier à 15 ans et gardé pendant 13 ans à Guantánamo puis en Alberta, accusé et reconnu coupable de meurtre, qui jouit d'une libération conditionnelle au pays depuis quelques jours.

«Il m'a beaucoup émue. Pour moi, c'était un enfant soldat.» Elle s'inquiète des circonstances où il a fait ses aveux, sachant qu'il y a eu torture dans ce camp. Et la comédienne, là encore, ne comprend pas l'attitude du gouvernement fédéral, qui ne voulait pas de sa libération.

Mais de tous les dossiers internationaux, celui qui la révolte le plus est celui des immigrants clandestins en Méditerranée, comme ceux qui sont morts récemment quand leurs navires surpeuplés ont chaviré. «Il faut ouvrir les frontières», dit-elle. «Ça ne peut pas continuer.» Peut-on imaginer à quel point les conditions de vie de ces gens doivent être horribles pour qu'ils soient prêts à prendre de tels risques pour traverser la mer? demande la comédienne. Car il n'y a pas seulement le danger de la traversée, note-t-elle. Il y a les arnaqueurs, la prostitution, la violence, lot classique de tous les vulnérables.

Sur la politique ici, la comédienne a toutes sortes de points de vue. Elle s'inquiète de la «destruction du filet social» en cours au Québec. «Ça me dérange, le discours économique, marchand, comptable qui a imprégné toutes les sphères, qui touche beaucoup les femmes. Ce gouvernement manque d'écoute.»

Résidante du Plateau depuis 30 ans, elle en a aussi long à dire sur la gestion à l'échelon municipal. «Il faut soutenir les petits commerçants, les écouter», dit la comédienne. «Le Plateau est devenu un labyrinthe incroyable qui dépasse la raison. C'est de la folie pure.» La comédienne se perçoit comme quelqu'un de gauche et constate que le maire est aussi de gauche, mais elle n'arrive pas à adhérer à des tas de décisions dans des tas de domaines qui vont de la gestion du trafic aux politiques de déneigement.

«C'est de l'idéologie, pas des solutions pratiques, qu'on voit à chaque coin de rue. Je ne dis pas qu'il ne fait jamais de bons coups. Mais ce n'est pas vrai non plus que c'est seulement quelques-uns qui se plaignent.»

La conversation se poursuit et aborde mille sujets. On parle d'homophobie - elle participera à une campagne de prévention lancée la semaine prochaine - et déplore qu'il y en ait encore bien trop au Québec, même si on ne fait pas de grandes «manifs pour tous» comme en France. Elle parle de l'ancien athlète Bruce Jenner, en voie de devenir une femme, et de l'admiration qu'elle a pour le courage des transgenres. On parle aussi de l'aide qu'elle apporte au CECI pour amasser de l'argent destiné à des femmes du Burkina Faso. Elle rit quand je lui demande si elle est l'Angelina Jolie du Québec. Elle me répond qu'elle a une admiration immense pour l'actrice, notamment pour son travail humanitaire et tout le reste, et n'estime pas arriver à sa cheville. «Ça prend tout un tempérament», dit-elle.

Et que pense-t-elle d'Hollywood? De la place des femmes? Elle se réjouit de voir de plus en plus de rôles intéressants pour les femmes de plus de 40 ans. Mais il y a une chose qui l'énerve encore. «Le rôle de la mère de Jessica Paré dans Mad Men? C'était pour moi! Pourquoi ils ont pris une Britannique qui ne parle pas français pour jouer une Québécoise?»

Avis aux producteurs américains.