Il y en a qui l'ont baptisée, avec raison, la Julia Child du Québec.

Mais dans les cercles gastronomiques montréalais, on l'appelle seulement Rollande. Comme pour Martha, Nigella, Jehane ou Ricardo, son prénom seul suffit pour l'identifier. Rollande, c'est Rollande Desbois, une dame de 88 ans qui, comme bien des bâtisseurs essentiels de l'ombre, a joué un grand rôle à travers les décennies pour transformer petit à petit le paysage de la gastronomie québécoise.

«J'ai seulement pris plaisir à transmettre mon trop-plein d'enthousiasme», s'est-elle défendu lundi, alors que la Fondation de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec lui rendait hommage.

Rollande Desbois n'a jamais eu de restaurant et elle n'a jamais gagné à l'émission Les chefs!. Ce fut plutôt une journaliste, qui a collaboré à toutes sortes de médias, dont les magazines Sel et poivre et Châtelaine pendant 23 ans, qui a publié de nombreux livres de cuisine, et ce fut une professeure, notamment à l'ITHQ où elle a formé des dizaines de cuisiniers devenus importants à leur tour dans le paysage montréalais. On pense à l'animatrice-styliste Josée di Stasio ou à la traiteuse Denise Cornellier. «C'est quand je l'ai eue comme prof que j'ai compris que c'était cette cuisine, la sienne, que je voulais faire», confie Cornellier. «Pour moi, cette rencontre a tout changé.»

Après des années à écrire, enseigner, présider l'Association canadienne pour la presse gastronomique, Rollande Desbois continue toujours à suivre l'actualité, les réseaux sociaux. Elle a notamment un blogue sur le Réseau d'information des aînés du Québec. Je la croise régulièrement dans les événements culinaires, où elle s'interroge sur l'actualité. Et elle cuisine toujours autant.

J'ai eu le plaisir à quelques occasions de goûter à ses plats, toujours parfaitement classiques, maîtrisés. Je me rappelle une blanquette de veau magistrale, recette à l'ancienne de Julia Child qu'elle avait tenu à faire à la lettre et dont la sauce était comme de la soie. À ce même repas, j'avais tenté des soufflés individuels au fromage qui s'étaient avérés trop cuits. Je m'en suis toujours voulu de ne pas avoir écouté Rollande, qui m'avait à juste titre prévenue de les sortir juste un peu plus tôt.

Rollande est issue d'une autre époque. Celle de l'arrivée de la nouvelle cuisine, de la «vague de fond» qui a secoué la cuisine française vers la fin du siècle dernier, pour reprendre les mots de son ami et ancien collègue de l'ITHQ, René-Luc Blaquière.

Elle a fait ses classes à l'école Le Cordon Bleu à Londres, où elle avait déménagé avec son mari journaliste et ses cinq enfants, dans les années 60, avant de partir à Paris, toujours aux côtés de son chéri et profitant toujours de ces mutations pour parfaire ses connaissances gastronomiques, enseigner, cuisiner. En France, elle tombe dans un univers culinaire en pleine transformation, celle lancée par Bocuse, Troisgros. Elle se laisse inspirer par de grands chefs qui brassent la cage, comme Jacques Maximim ou Marc Meneau.

À son retour, en 1978, elle choisit de diffuser ici toutes ces connaissances acquises à l'étranger, histoire d'enrichir le savoir québécois, et commence à donner des cours à l'ITHQ. Aussi curieuse que perfectionniste, elle secoue l'institution, exige de grands produits souvent venus d'Europe, refuse l'ordinaire.

Chemin faisant, comme le dit son amie gastronome Claudette Dumas-Bergen, «elle gagne les coeurs et les ventres». «Moi, elle m'a tout montré», affirme Michelle Gélinas, journaliste gastronomique qui lui a succédé à la présidence de l'association.

À travers les années, jamais son intérêt pour la bonne chère et la nouveauté n'a faibli. «Je me rappelle un voyage de presse en France où on avait pris une montgolfière pour survoler Saint-Émilion», relate le journaliste gastronomique et anthropologue Robert Beauchemin. «Elle avait déjà plus de 70 ans mais elle est infatigable.»

Anne Fortin, fondatrice et propriétaire de la Librairie Gourmande, au Marché Jean-Talon, fait état d'un même enthousiasme. «Avant de me lancer, je l'ai appelée pour lui demander son avis. Elle m'a convoquée le lendemain matin et m'a dit tout de go: "Il était temps que quelqu'un le fasse."»

Rollande Desbois fait partie de ceux qui, alors que la gastronomie occupait une moins grande place dans nos vies, en faisaient la promotion au jour le jour. Elle fait partager ses connaissances, glanées au cours des expériences et des voyages qu'elle n'a cessé de faire.

«C'est un puits sans fond de connaissances», affirme Denise Cornellier. Une bâtisseuse du quotidien.