Parfois, on s'imagine, parce qu'on est en 2015 et non plus en 1950, que le monde a changé, est mieux, plus ouvert, moins raciste, moins sexiste et moins homophobe.

Mais parfois aussi on doit prendre une grande respiration, avaler ses larmes ou sa colère, aller faire un peu de course ou de boxe pour digérer la rage de réaliser que le monde recule.

Parce que parfois, oui, il recule.

Avez-vous vu la pub sur Facebook du restaurant La Queue de cheval parue cette semaine, qui montre une femme masquée vêtue uniquement de sous-vêtements de dentelles et sur laquelle on demande: «Comment aimez-vous votre viande?»

Parfois, on se demande comment de telles choses peuvent encore être légales... Comment des cerveaux peuvent pondre des choses aussi pitoyables...

Parfois, on se demande aussi comment certaines lois peuvent être pensées et approuvées, comme celles des États de l'Indiana et de l'Arkansas, qui permettent ni plus ni moins la discrimination des commerces contre les gais, les lesbiennes, les bisexuels et les transsexuels.

L'excuse? «C'est pas en accord avec ma religion.»

Cet aspect du vaste débat sur les reculs que les religions veulent imposer à la modernité est en effet en train d'éclater au grand jour aux États-Unis. Les religions font la vie dure aux femmes, on le sait. Elles font aussi la vie dure aux gais et on n'en parle pas assez. C'est ce dont il est maintenant question.

En gros, l'histoire est la suivante: le gouverneur de l'Indiana, Mike Pence, a accepté la semaine dernière de signer, donc de donner force de loi, un projet s'appelant le Religious Freedom Restoration Act. Il existe de telles lois déjà dans plusieurs États, car leur but, à l'origine, était de protéger certaines pratiques religieuses des Premières Nations, mais on s'entend qu'on n'est plus là-dedans du tout.

La nouvelle loi, c'est plutôt l'anti-Charte des valeurs de Drainville. Elle protège la liberté religieuse, s'assure que personne ne perdra jamais de droit en faisant valoir sa religion et elle s'assure que les croyances de tous seront respectées.

Donc, si vous avez une entreprise en Indiana et que le mariage entre des conjoints de même sexe va à l'encontre de vos croyances religieuses, par exemple, vous avez le droit de dire «non, pas d'accord».

Il y a déjà un restaurant de pizza de Walkerton, en Indiana, qui s'affiche comme «profondément chrétien» et qui a dit à des journalistes d'ABC qu'ils ne livreraient jamais de pizza de fin de soirée à un mariage gai. Ce n'est pas de la discrimination, a expliqué une des membres de la famille propriétaire de la pizzeria, Crystal O'Connor, à la chaîne de télé américaine. «C'est notre croyance et tout le monde a le droit d'avoir ses croyances.»

Heureusement, tout le monde ne pense pas ainsi.

Martha Hoover, la propriétaire de 11 restaurants dans Indianapolis et sa région, la chaîne des Patachou, était à New York le week-end dernier pour Jubilee, une rencontre de femmes du milieu de la gastronomie, et elle a commencé sa présentation en disant avant toute chose qu'elle se dissociait totalement de cette mesure mise en oeuvre dans son État. «C'est répugnant», a-t-elle dit, ajoutant qu'elle était incroyablement fière de ses employés, qui avaient pris de commun accord l'engagement de ne refuser de servir personne.

Toute la semaine, l'histoire a pris de l'ampleur et alors que l'Arkansas, malgré toutes les réactions négatives générées par l'Indiana, décidait d'emboîter le pas et de faire la même chose avec une loi pro-religion semblable, entérinée elle aussi par son gouverneur, mais les canons du monde des affaires s'en sont mêlés.

Le patron d'Apple, Tim Cooke, gai assumé, a d'abord réagi sur Twitter au sujet de l'Indiana, puis a publié une longue lettre dans le Washington Post, expliquant que l'idée de protéger les discriminateurs sous prétexte de croyances religieuses allait à l'encontre des principes fondateurs d'inclusion des États-Unis. Ensuite, la direction de Walmart, dont le siège social est en Arkansas, a demandé au gouverneur de cet État de ne pas signer la loi soumise au vote à Little Rock.

D'autres entreprises ont réagi en annonçant qu'elles refusaient d'augmenter leur présence dans ces États, certains événements - colloques, congrès, conférences - ont aussi été annulés en guise de protestation, on a appelé au boycottage... Rien de très bon pour l'économie de ces États.

Devant toute cette pression, la seule chose que le gouverneur de l'Indiana a accepté de faire, c'est d'aller devant les micros pour tenter de convaincre la population que toute cette controverse était la faute des médias, mauvais messagers d'une loi aux bonnes intentions inclusives pro-religion, dont il corrigerait toutefois les anomalies...

Gail Collins, la columnist du New York Times, n'a pas été impressionnée, qualifiant la prestation du monsieur chez George Stephanopoulos à ABC de l'une des pires de l'histoire de la télévision. Dans sa chronique de jeudi, elle souligne notamment la partie de l'entrevue où le gouverneur explique que le but de la loi n'était pas de légaliser la discrimination contre les gais, mais plutôt de protéger les entreprises qui refusent de rembourser les frais de contraception à leurs femmes employées dans leur programme d'assurance maladie parce que ça, ça va à l'encontre de leurs principes religieux. Bravo, M. Pence, bien joué!

Parfois, on s'imagine que parce qu'on est en 2015, les gens sont plus ouverts, plus modernes. Pas en Indiana, où le RFRA a été voté et entériné essentiellement pour faire plaisir aux gens de la droite conservatrice opposés au mariage de conjoints de même sexe, frustrés que celui-ci soit maintenant légal dans leur État.

Espérons seulement que ces tentatives de recul ne se propagent pas ici. Parce que franchement, l'homophobie, c'est triste et faible. Pitoyable.