«Père Noël, père Noël, apporte des bébeeeeeeelles...»

Imaginez une trentaine d'adultes qui hurlent cette chanson en s'époumonant, sur fond de piano endiablé, pendant que les enfants courent à la porte, regardent par les fenêtres, cherchent ici, cherchent là, l'adrénaline à fond la caisse: «Il est où le gros monsieur barbu... Où? Où? Où?»

Il s'en vient chez nous.

Selon ceux qui n'ont pas baigné depuis leur tendre enfance dans l'atmosphère survoltée qui caractérise le réveillon dans ma famille maternelle, ceux qu'on appelle tendrement chez nous les «rapportés» - les maris, les blondes, les amis -, ce phénomène du réveillon est totalement particulier à notre clan.

D'abord, il y a la combinaison de musique, de cris, de tapage de pied, d'énervement volontairement généré par les parents, tantes, cousins, cousines, pour être certains que personne de moins de 11 ans n'aura l'esprit assez clair et assez lucide pour prendre la peine de tirer sur la barbe du personnage quand il entrera dans la maison pour vérifier s'il arrive bel et bien du pôle Nord.

Ensuite, il y a la joie non moins bruyante des enfants, transportés par la visite furtive, frénétique, mais combien efficace du père Noël, chargé comme un bourricot.

Et c'est sans oublier la trame musicale incessante.

Je n'ai jamais vu de fissures lézarder les murs de nos demeures dans la nuit du réveillon. Mais il y en a qui croient dur comme fer que nos maisons en tremblent. Qu'ils l'ont vu.

Il faut dire qu'on est chanceux. De tout temps, le père Noël est venu porter les cadeaux en personne chez nous, et jamais pendant qu'on dort.

Qu'on ait envie de le voir. Ou pas.

Je pourrais utiliser le passé et dire qu'il arrivait souvent dans la rue, tout simplement en marchant. Pas de traîneau, pas de rennes. Pas besoin de lui laisser des carottes, des biscuits ou un verre de lait. Mais c'est encore comme ça. Demandez-le aux enfants.

Généralement, les passants le regardent eux aussi se balader, un peu ahuris, alors qu'il cherche où aller.

Souvent, très souvent, il continue d'abord tout droit devant chez nous, comme si on n'existait pas.

Il faut alors crier encore plus fort, taper dans les vitres, l'appeler.

«Père Noël, c'est ici, iciiiiiii!»

Je n'ai pas - encore - de problème de surdité. Mais le jour où ça arrivera, je blâmerai, je crois, mon cousin Antoine pour la fois où il avait tenté, à lui tout seul, du haut de ses 3 ou 4 ans, par un cri strident, de convaincre le livreur de cadeaux d'arrêter chez nous avant de poursuivre chez les voisins du dessus. Apparemment, le gros monsieur a pris du temps à allumer, mais le costume de Darth Vader, et surtout l'épée lumineuse, c'était bien pour Antoine.

Les fêtes en général et celle de Noël en particulier, dans ma famille, n'ont jamais été choses silencieuses.

Car le rituel continue même une fois la distribution des présents terminée.

Il y a une tradition ancestrale qui veut qu'on chante, absolument. C'est non négociable.

Quelqu'un s'installe au piano dès le début de la fête - et si celle-ci est chez quelqu'un qui n'a pas de piano, un oncle arrivera AVEC le piano - et joue sans arrêt. En fait, il y a toujours eu une sorte de réserve intarissable de gens assez musiciens pour prendre la relève. Ma mère, mes tantes, mes oncles. Quand j'étais enfant, je n'en revenais pas: quand quelqu'un flanchait ou avait envie d'aller chercher de la tourtière, on le remplaçait tout de suite. La transition se faisait même parfois en plein milieu d'une chanson. «Et une perdrioooooole, qui vient qui va qui vole» - on change de pianiste - «une perdriooooole qui vole dans ces bois.» Rien n'y paraissait.

Encore aujourd'hui, généralement, un petit groupe d'une demi-douzaine de personnes s'installe pour chanter des «chansons à répondre» avant même l'apéro. Au début, on commence par des chansons de Noël, mais le reste du répertoire est très varié... Ça va d'À la claire fontaine jusqu'à Ah, si mon moine voulait danser. Certains membres de la famille ont un rôle attitré qu'ils reprennent et peaufinent depuis des années. Souvent, durant la soirée, le groupe de ménestrels grossit pour les chansons les plus populaires, ou le vin aidant.

«Des anges dans nos campagnes ont entonné l'hymne des cieux...»

«Écoutons les clochettes, du joyeux temps des Fêtes...»

Quand j'étais petite, je ne détestais pas ces chansons qui nous incluaient joyeusement, mais avec les années, surtout à l'adolescence, j'ai fini par acquérir une allergie au concept. Je me rassurais en prédisant un étiolement de la tradition.

Dans mon for intérieur, longtemps, je me suis dit qu'il suffirait de quelques années, de quelques additions non chantantes à la famille et de quelques tristes départs pour que la corvée de la chanson nous soit un jour enfin épargnée.

Erreur.

La tradition a sauté une génération.

C'est revenu en grande. Mes enfants et mes petits-cousins débarquent à la fête avec guitares, partitions et ukulélé!

Repartis comme jamais.

Cette famille est musicienne dans son ADN. C'est rempli de professeurs de musique et de choristes du dimanche.

J'ai même un cousin particulièrement doué, pas mal plus jeune que moi, qui fait carrière dans le chant lyrique.

Chaque année, il nous offre un cadeau magnifique.

Quelque part entre la frénésie des cadeaux et les fous rires des «awignahan...», il nous chante le Minuit, chrétiens. Sérieux: nous, on trouve que c'est mieux que Pavarotti.

Chaque fois, j'en ai des frissons.

Et chaque fois, je me dis que je suis vraiment chanceuse d'avoir cette belle gang de fous-là, tout autour de moi, pour célébrer les Fêtes.

Joyeux Noël aux Richer et à tous les rapportés.

Meilleurs voeux à vous tous.

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca