Ce n'est pas pour me vanter, mais parfois je trouve le monde - ou est-ce l'époque - où l'on vit, vraiment étrange.

Prenez cette semaine.

Qui aurait cru qu'en même temps, il aurait fallu se faire une tête sur les suites à donner au mouvement immensément fort et troublant de récits d'agressions sexuelles jamais dénoncées, pour mille bonnes et mauvaises raisons, et sur les fesses de Kim Kardashian.

Oui, Kim. Vous ne savez pas de qui je parle?

Kim, c'est un petit peu la ZsaZsa Gabor des temps actuels.

Kim est célèbre parce qu'elle est célèbre.

Kim n'est pas une actrice comme la piètre ZsaZsa mais plutôt un personnage de télé-réalité. Sa mère était mariée avec l'athlète Bruce Jenner. Son père était un des avocats de O.J. Simpson. Elle est elle-même mariée avec le chanteur Kanye West. Sa vie est documentée en détails, non seulement par son émission de téléréalité Living with the Kardashians, mais aussi par les pararazzis et par elle-même, car elle est très active sur Twitter et sur Instagram, sans parler d'un « sex tape » savamment ébruité...

Kim est partout. Kim est adulée. Kim est vertement critiquée.

Ce n'est pas exactement le personnage interprété par Roberto Benigni dans To Rome with Love de Woody Allen, qui devient célèbre malgré lui sans avoir la moindre idée pourquoi, puisque Kim est célèbre, grâce et par elle et nul ne le sait aussi bien. Mais devant son personnage, réel, on a le même questionnement que lorsqu'on regarde le personnage incarné par Benigni: « Pourquoi exactement est-elle célèbre déjà? »

Parce que c'est Kim.

C'est Kim la télé, Kim la collection de vêtements, mais surtout juste Kim.

Et cette semaine, la belle a de nouveau fait grimper sa notoriété d'un cran avec la publication d'une série de photos d'elle, nue, prises par le célébrissime Jean-Paul Goude et publiées dans le magazine Paper. On voit devant, on voit derrière. Et c'est justement surtout la photo de son derrière qui a fait beaucoup parler.

Parce que Kim, ai-je précisé, et c'est ce qui la distingue de mille autres starlettes qui ont attiré aussi l'attention de la presse à potin ces dernières années, a un corps totalement hors-norme pour Hollywood.

Elle a de bonnes fesses rondes, proportionnées avec son opulente poitrine. Un peu comme Beyoncé, elle tranche avec le modèle filiforme omniprésent dans les magazines et sur les écrans depuis tant de décennies. En fait, mettez ensemble Kim, Beyoncé et l'actrice et réalisatrice du super populaire Girls, Lena Dunham, avec un peu de Nicki Minaj, la chanteuse, et on va presque pouvoir commencer à dire qu'il y a maintenant de la diversité corporelle à Hollywood!

Il était temps.

La photo de Kim, toutefois, fait jaser. D'abord, elle n'a pas l'air naturelle. On veut bien que ses fesses soient rondes, mais elles ont l'air encore plus rebondies que sur toutes ses autres photos, ce qui nous oblige à nous demander si on ne nous prend pas un peu pour des quiches, sur fond de Photoshop.

Et puis, il y a tous ceux qui accusent Kim de s'exploiter elle-même, pour elle-même, et de ne miser que sur son cul, c'est le cas de le dire, pour ne pas accomplir grand-chose. « J'ai quand même tendance à penser qu'il y a des gestes plus porteurs que d'autres », a réagi l'historienne féministe Florence Montreynaud, alors que je l'interviewais et que je lui confiais être à la recherche d'un sens à tout ça...

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Quand Madonna est devenue Madonna, durant les années 80, j'ai tout de suite adoré ce personnage qui proposait une nouvelle forme de sexualité féministe radicalement différente du discours ambiant, presque asexué en fait, de l'époque. D'ailleurs, la madone a été extrêmement critiquée à ses débuts. On ne voulait pas croire que malgré ses poses lascives et ses soutiens-gorge de dentelle apparents, elle contrôlait quand même son image, ses affaires, sa vie.

L'idée qu'une femme puisse à la fois être féministe et sex-symbole a de tout temps été difficile à comprendre, gérer, expliquer.

Je ne vous dis pas ça pour affirmer que Kardashian est une militante pro-égalité malgré des apparences déroutantes. Non, je ne l'imagine pas aux Nations unies, comme l'actrice Emma Watson, en train de prononcer un discours enjoignant aux hommes de se joindre au mouvement égalitariste, humaniste, qu'est le féminisme.

Mais il y a dans le sourire de ces fameuses photos, alors qu'elle montre ses fesses à la planète, une sorte de côté un peu narquois, baveux. « Vous les aimez, non? »

Et c'est là que je me remets à me désoler en pensant à cet autre sujet de la semaine, celui des agressions non dénoncées, parce qu'il se trouve aujourd'hui des gens pour dire qu'une partie de ces cas d'agressions sont justement des histoires de séduction qui ont dérapé. Comme si les victimes avaient joué avec le feu. Comme si ce pouvoir de séduction si bien utilisé, si bien illustré par Kim, était une arme à utiliser à ses risques et périls.

Ces deux réalités n'ont rien à voir.

Le sexe et la séduction, c'est une chose.

La domination en utilisant des moyens sexuels, c'en est une autre. Il est temps que notre société le comprenne.

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J'imagine que je devrais, comme bonne féministe, trouver Kim Kardashian tarte et vide. Peut-être aussi que je devrais être surtout en train de me désoler des sombres desseins du gouvernement dans le dossier des services de garde (et je m'en désole effectivement, croyez-moi, car je suis convaincue que des hausses de tarifs auraient un impact sur l'accès des mères au marché du travail). Évidemment, je suis atterrée par l'ampleur des révélations du mouvement #agressionjamaisdénoncée même si cette ampleur du phénomène, je la connaissais, simplement pour en avoir si souvent parlé avec d'autres femmes.

Mais il y a quelque chose, dans le choix de Kim Kardashian d'avoir montré ses (grosses) fesses au monde en riant cette semaine, que j'ai trouvé sympathique.

« Kiss my ass » disent les anglos quand ils veulent envoyer promener quelqu'un. « Embrasse mes fesses. »

Et vlan.

Peut-être, dans le fond, est-ce simplement ça que j'ai bien aimé.