Chaque année depuis bientôt 25 ans, à Paris, le 6 décembre, l'historienne française Florence Montreynaud organise une cérémonie du souvenir à la mémoire des victimes de la tuerie de Polytechnique. «Je ne savais pas que j'étais la seule dans le monde à faire ça», confie-t-elle, entre une soupe à la courge et un poisson grillé chez Hostaria, dans le quartier italien. «Je suis quand même étonnée.»

Arrive peu après un jeune homme, étudiant à l'UQAM, qui vient la retrouver pour signer le manifeste Zéromacho, une initiative d'hommes féministes, notamment opposés à la prostitution, lancée à Paris il y a trois ans et dont elle est la grande marraine. «Le 6 décembre, vous savez c'est quoi?, demande-t-elle à ce Québécois qu'elle rencontre pour la première fois.

- C'est Poly, non?, répond le nouveau Zéromacho. J'avais 3 ans.

- Ah, ce n'est pas oublié», rétorque la grande dame du féminisme français, soulagée.

Florence Montreynaud, que des milliers d'entre nous ont connue grâce à ses livres d'histoire, notamment le très populaire Le XXe siècle des femmes, est de passage au Québec pour parler de son dernier ouvrage, Chaque matin, je me lève pour changer le monde, ses mémoires qu'elle vient de publier chez Eyrolles.

Née dans les années 50, mère de quatre enfants aujourd'hui adultes, étudiante durant le printemps 68, membre de la première génération à prendre la pilule, l'historienne a souvent été aux premières loges du mouvement de libération des femmes. Son livre raconte ainsi son cheminement, de sa première conscientisation féministe sur les questions de planning familial jusqu'à son travail aujourd'hui avec Zéromacho, elle y parcourt son engagement au sein du MLF, les manifs, ses débuts en politique. Elle y décrit son engagement auprès des Chiennes de garde - ce groupe souvent très drôle qui dénonce le machisme dans les discours publics, autant en publicité qu'en politique. Elle trace son chemin à travers les années, en passant par toutes sortes de rencontres marquantes, évidemment, qui vont de la grande politique féministe française Gisèle Halimi à Élisabeth Badinter, personnage marquant dans sa vie dans les années 80 puis dont elle s'est détachée. Il y a eu aussi Taslima Nasreen, cette romancière d'origine bangladaise qui a fait l'objet d'une fatwa pour ses écrits, tout comme Salman Rushdie. «Mais jamais elle n'a eu autant de protection, pourtant c'était exactement la même chose...»

Mais ce qui ponctue aussi constamment le livre, ce sont ses réflexions sur la vie, qui sont aussi variées que la description éloquente de la froideur de son père ou la revendication candide du droit à la sexualité pour les femmes, passé la ménopause.

Partout, il y a aussi des récits de rencontres avec des citoyens, ici et là. Au hasard d'un train ou d'une course en taxi, lieux privilégiés de dialogue avec des inconnus, elle sonde le présent, cherche à comprendre, à illustrer l'évolution des relations entre les hommes et les femmes.

«J'y vais doucement, explique-t-elle, comme la dame bon genre que j'ai l'air d'être. Je ne fais pas peur, j'avance à visage découvert, sans arme, proposant un dialogue.» Selon Florence Montreynaud, la rencontre avec les hommes est cruciale pour l'amélioration de la vie de tout un chacun. Du conflit entre les genres, elle dit qu'«il est urgent d'unir nos efforts pour qu'il finisse».

Sa grande lutte du moment est celle contre la prostitution qui fait un immense tort aux femmes comme aux hommes, en privant ces protagonistes de leur humanité. Évidemment, les femmes sont celles qui paient le prix le plus fort, en vendant leur corps, mais les hommes ne s'en sortent guère mieux, croit l'auteure. «Si je payais, ça voudrait dire que moi je ne vaux rien», lui a un jour dit un homme québécois avec qui elle discutait en avion. «Exactement», lui a répliqué la féministe.

Pour aller chercher des appuis au mouvement Zéromacho, qui consiste essentiellement à recruter des hommes pour la cause féministe, à l'instar du mouvement He for She des Nations unies marrainé par l'actrice Emma Watson, Mme Montreynaud est partie avec celui qu'elle appelle son ami pendant plus d'un an en autocaravane à la découverte de l'Europe, jusqu'au Proche-Orient, récoltant ici et là des adhésions, le tout ponctué de mille rencontres et de mille idées, comme celle, inspirée d'une action espagnole, d'organiser à Beaubourg, à Paris, pour la fête des Mères, une séance populaire de leçons de repassage pour des hommes, par des hommes, avec diplôme à l'appui... «Le plus beau cadeau qu'on puisse faire à une mère, c'est l'égalité...»

On aura droit au récit de tout cela dans un prochain livre qui inclura ses rencontres québécoises, comme celle avec le jeune homme venu la voir à la fin de notre entretien (qui a décidé de se lancer dans la lutte contre la prostitution le jour où il a su que le polémiste très à droite Éric Zemmour était pour!).

Car Mme Montreynaud adore revenir au Québec, où elle compte plusieurs amies féministes. «Ce sont aussi mes soeurs», dit-elle de sa voix douce et réconfortante, sans la moindre trace de l'agressivité ou de l'amertume que les ennemis de l'égalité essaient encore d'accoler aux pires stéréotypes féministes.

«Une chance que nous nous tenons toutes, que nous sommes bien entourées, pour ensemble changer le monde.»

Florence Montreynaud

• Historienne

• Féministe depuis 40 ans

• Mère de quatre enfants

• A écrit Le XXe siècle des femmes, une encyclopédie illustrée devenue incontournable, dont la préface a été rédigée par Élisabeth Badinter.

• Vient de publier Chaque matin, je me lève pour changer le monde.

• Cite la grande journaliste féministe britannique Rebecca West: «Le grand ennemi du féminisme, c'est que les hommes n'aiment pas les travaux ménagers et que les femmes n'aiment pas les travaux ménagers.»

• Sera au Salon du livre de Montréal du 19 au 21 novembre.