En Grande-Bretagne, certains ont baptisé ça le «t-shirt gate».

Parce qu'il y a eu controverse.

Et parce que ça parle de t-shirts.

Selon moi, on aurait dû appeler ça «tempête dans un verre d'eau». Mais j'avoue que ça ne rendrait pas totalement justice à cette histoire qui nous a quand même permis de réfléchir sur les conditions de travail de ceux qui fabriquent nos vêtements. Et sur les subtilités de la consommation éthique.

Tout a commencé au début de la semaine avec la publication d'un reportage se voulant «choc» du tabloïd britannique Daily Mail sur les dessous d'une campagne pro-féminisme.

Dans un élan cachant mal son désir de faire mal paraître les personnalités progressistes, une habitude de cette publication, le journal a découvert que des t-shirts féministes portés par plusieurs politiques de gauche avaient été produits à l'île Maurice. Et par des travailleuses payées l'équivalent d'un peu plus d'un dollar par jour.

Shocking!

Comment peut-on porter un t-shirt arborant le slogan «Ça a l'air de ça, être féministe», demandait en gros le tabloïd, si ledit t-shirt est fabriqué dans des manufactures où des femmes habitant à 16 dans de petits appartements sont payées des salaires de misère?

Évidemment, l'histoire a fait réagir.

Comment les Ed Miliband, le chef du parti travailliste, Harriet Harman, numéro deux du même Parti et Nick Clegg, le chef du Parti démocrate libéral - un reportage du Elle UK montrait aussi Emma «Hermione Granger» Watson portant le gaminet - peuvent-ils porter ces t-shirts?, a-t-on entendu partout en Grande-Bretagne.

Interpellé, ébranlé, inquiet, l'organisme féministe ayant lancé la campagne de t-shirts, la Fawcett Society, en association avec le magazine Elle UK, s'est mis à poser des questions à son partenaire, le détaillant Whistles, qui a fait fabriquer et vend lesdits t-shirts.

«Nous avions demandé des assurances sur le caractère éthique des produits, qui au départ devaient être produits en Grande-Bretagne», a raconté en substance Eva Neitzert, la directrice adjointe de l'organisme, sur son site internet. «Nous avons des inquiétudes, nous faisons enquête.»

Trois jours plus tard, les réponses aux questions ont été rendues publiques.

En fait, l'usine en question répond aux normes éthiques exigées par la Fawcett Society, autant du point de vue environnemental qu'humain. Le fabricant, la Compagnie mauricienne de textile, a une certification Oeko-tex et SMETA, des organismes de vérification.

En outre, Fawcett dit avoir été assuré que les travailleuses sont payées plus que le salaire minimum et sont rémunérées pour leurs heures supplémentaires. En outre, il y a présence syndicale sur les lieux de travail et le taux de roulement des employées y est à un bas niveau rassurant.

***

Comme bien d'autres lecteurs, j'ai sursauté en lisant le reportage du Daily Mail. Je me suis demandé comment un organisme aussi réputé que la Fawcett Society, fondé en 1866, à l'avant-plan de tant de luttes féministes, avait pu être aussi nonchalant en s'embarquant dans cette vente de t-shirts avec le détaillant Whistles.

L'histoire était énorme.

Et puis, à force de lire sur la question, quelques nuances sont apparues.

D'abord, il est clair qu'un salaire d'environ 1$ de l'heure paraît immensément peu, vu de nos réalités de pays industrialisés. Mais dans le contexte mauricien? C'est légalement au-dessus du salaire minimum. Pour trouver le scandale, écrit la journaliste britannique Lucy Siegle, spécialiste des questions éthiques, il faut plutôt aller voir les travailleurs migrants - les plus vulnérables - du côté des Philippines, du Viêtnam ou du Bangladesh, notamment, où s'est écroulée la manufacture de Rana Plaza l'an dernier.

Cela dit, si on veut se scandaliser de ce salaire, scandalisons-nous. C'est justifié. Mais alors, mettons aux oubliettes pratiquement tous nos vêtements.

En 2014, se vêtir en n'utilisant au grand jamais ni habits, ni tissus, ni fils ou fibres, ni rien du tout issu d'une façon ou d'une autre du système manufacturier des pays en voie de développement où les salaires nous paraissent scandaleusement bas, est un exercice hautement complexe. À part les nudistes, je ne vois pas qui y échappe totalement.

Est-ce que cela signifie qu'il faut baisser les bras devant cette question? Pas du tout.

Il faut continuer de surveiller les détaillants, de leur poser des questions. Et il faut surtout bien comprendre que les bas prix des vêtements de nos chaînes et marques préférées cachent des économies faites sur le dos de travailleurs ou sur le dos de la planète (et des humains qui l'habitent).

Il n'y a pas que les prix exorbitants de certains vêtements ou sacs à main à la mode qui sont fous. Il y a aussi les prix ridiculement bas.

Doit-on boycotter les vêtements faits à l'étranger? Pas nécessairement. Parce qu'on ne veut pas nécessairement priver les travailleurs de leurs emplois.

Doit-on s'interroger à voix haute, demander des preuves, accepter de payer le prix juste pour nos vêtements et mieux consommer?

Évidemment.

Photo tirée de Twitter

La députée Harriet Herman, numéro deux du Parti travailliste au Royaume-Unis. «Voici de quoi aura l'air une féministe à la période de questions aujourd'hui», a-t-elle écrit en publiant cette photo sur Twitter la semaine dernière.

Photo tirée de Twitter

«Je soutiens l'égalité et le choix, donc, oui, je suis féministe», a gazouillé Nick Clegg, leader du Parti démocrate libéral au Royaume-Unis.