David Marquis n'est pas un premier ministre, ni un maire, ni le président d'un ordre professionnel, ni un scientifique archiconnu. C'est un enseignant. Un enseignant au primaire dans une école publique de Saint-Bruno que j'ai rencontré la semaine dernière pour le petit-déjeuner, à l'excellent café Brooklyn, dans le Mile End.

Marquis n'a rien fait pour tuer la une dans son petit univers actuel, mais je l'ai connu dans une autre vie. Et je me demandais ce qu'il était devenu.

Je l'ai connu en reportage il y a 13 ans, à l'époque où il était étudiant en sociologie à l'UQAM, alors qu'il manifestait au sein de la mouvance anarchiste altermondialiste.

Vous savez, ces étudiants qui se sont détachés de la Fédération étudiante du Québec, jugée trop à droite, pour fonder l'Association pour une solidarité syndicale étudiante, l'ASSÉ, épine dorsale de la CLASSE dont Gabriel Nadeau-Dubois était coporte-parole durant la dernière grande grève étudiante ? Vous savez, ces étudiants qui, il y a 13 ans, ont bouffé du gaz lacrymogène à la pelletée au moment du Sommet des Amériques ? Marquis était parmi eux. C'est là qu'on a commencé à se parler. J'écrivais sur ces mouvements de jeunes ultragauchistes. Il me racontait comment ça se passait.

C'est lui qui a repris contact avec moi récemment pour me parler de l'un de mes textes. « Tu vas rire », m'a-t-il écrit en me donnant son numéro de cellulaire pour qu'on discute un peu.

Ça commençait par 450.

« Oui, je suis devenu banlieusard. »

Passé cet aveu, toutefois, son histoire n'a rien de conventionnel.

Après les manifs du Sommet des Amériques, raconte-t-il, ce fut la grosse déprime. Un grand sentiment d'échec. « Certains d'entre nous sont revenus physiquement blessés, mais la plupart aussi psychologiquement », relate-t-il. Une bonne amie ne s'en est pas remise et s'est suicidée. Le coup pour lui a été d'autant plus dur. Après tant d'efforts pour remettre profondément en question un système politique et économique sans que cela change quoi que ce soit, sans que quiconque ne donne jamais signe que ce message a au moins été entendu, ce fut pour lui une douche froide insupportable. Et cette amie disparue.

Son monde s'est effondré.

Marquis a alors tout lâché. Il est parti travailler sur des chantiers. A laissé le temps passer. Avec les attentats du 11-Septembre, la lutte des altermondialistes a disparu de l'actualité, perçue quasi comme une marque d'ingratitude au regard de l'urgence de la question terroriste.

C'est là qu'il choisit l'éducation et qu'il retourne à l'université pour obtenir un diplôme d'enseignant qu'il décroche en 2008. Il part en Belgique faire un stage, étudier les théories du pédagogue anarchisant Célestin Freinet. « Je me suis dit que si je peux apprendre à mes élèves à confronter l'autorité poliment, intelligemment, j'aurai déjà accompli quelque chose », affirme-t-il. Mais surtout, surtout, c'est l'idée d'inculquer le sens civique, de responsabilité collective, qui l'anime. « Je me dis que quand j'aurai 90 ans, dans un monde hypercapitaliste, sans plus trop de démocratie, s'il y a encore des gens qui connaissent l'altruisme, l'entraide parce que je leur aurai enseigné, j'aurai fait quelque chose de bien », explique-t-il.

« PLUS DIFFICILE DE MILITER EN BANLIEUE »

Marquis admet que sa vie de banlieusard peut sembler entrer en contradiction avec ses idéaux. « Il y a le conformisme, l'hyperconsommation, la dépendance à la voiture... »

Mais le départ à l'extérieur de Montréal, à Beloeil, lui permettait un accès à la propriété et à du terrain pour faire pousser fruits et légumes - il cultive même le houblon et brasse sa propre bière quand il n'achète pas celle de coopératives de travailleurs en Mauricie -, parce qu'il essaie d'être le plus autonome possible du point de vue alimentaire. Sa demeure n'est pas un palace, mais une maison plutôt neuve achetée dans un étrange état, une aubaine, revendue par les autorités, fruit d'une saisie, un ancien bâtiment consacré à la culture du pot...

C'était la seule façon d'avoir un prix décent, dit-il. À moins d'acheter une petite maison collée sur le chemin de fer à Saint-Basile-le-Grand, avec vue directe sur l'ancien entrepôt de BPC, celui qui a flambé en 1989...

Chez lui, Marquis poursuit ses idéaux écolos.

L'ancienne tondeuse de l'un, l'ancien barbecue de l'autre, des plantes offertes par des gens qui éclaircissaient leur potager... Le jeune homme aime mieux réparer ou faire des boutures qu'acheter.

Milite-t-il encore ?

Oui, dit-il.

Marquis était aux côtés des « carrés rouges » en 2012, ainsi que parmi les manifestants contre l'exploitation du gaz de schiste quelques années auparavant. Il porte encore des t-shirts arborant des thèmes un peu « baveux » politiquement. Il vote Québec solidaire et fait partie du réseau politique de son syndicat, la Centrale des syndicats du Québec.

« C'est sûr que c'est plus difficile de militer en banlieue », note-t-il. Même s'il n'a pas encore d'enfants, son couple s'étant effrité récemment.

« Je crois vraiment que je suis encore militant, affirme-t-il. Mais je pense que je suis plus modéré. Avant de péter un plomb, j'ai un moment de recul qu'avant je n'avais pas. J'essaie de me remettre en question avant de sauter aux barricades. »

Un peu plus sur David Marquis

37 ans

Enseignant au primaire

Ancien étudiant de sociologie à l'UQAM

Militant altermondialiste du temps du Sommet des Amériques

Banlieusard

S'est acheté son premier téléphone cellulaire il y a six mois.

Cultive son potager, brasse sa bière.

Dans la bibliothèque

Le livre de Gabriel Nadeau-Dubois, Tenir tête. « Ça nous donne une certaine idée de ce qui se vivait au coeur de la grève, au sein de l'association étudiante. Ça explique bien ce que les médias étaient incapables de comprendre, soit le fait que Nadeau-Dubois était uniquement porte-parole. »

La série Malphas, de l'écrivain québécois Patrick Senécal, des romans d'horreur, fantastiques, qui se déroulent dans un cégep. « J'aime l'humour politique grinçant. C'est très, très agréable à lire », explique Marquis.

Les disques de Zebda, un groupe de Beurs de Toulouse. « Des militants, absolument endiablés en concert. » Marquis écoute ça pour se remonter le moral, « quand je pense à Renaud, que j'ai tant aimé, tant écouté, et qui est si mal en point... ».