«On essaie essentiellement de ne pas accepter les solutions normales... Toutes les situations en quête de solutions sont des mélanges uniques de potentiels qui n'attendent que d'être cernés.»

Je ne connaissais pas l'architecte danois Bjarke Ingels avant de l'entendre il y a 10 jours à C2MTL, cette grande manifestation consacrée à la créativité, mais je connaissais les travaux de son bureau, BIG. Des immeubles résidentiels spectaculaires et décoiffants à Copenhague. Un projet grandiose à Manhattan. Je savais que c'était un des grands du moment. Une sorte de Renzo Piano, de Santiago Calatrava ou de Norman Foster à 40 ans.

Ce que je ne soupçonnais pas, c'est à quel point son discours tombait à point dans le contexte qui prévaut aujourd'hui à Montréal. Je ne sais pas combien de politiciens et de bureaucrates municipaux, provinciaux et fédéraux étaient présents quand il a parlé. Mais j'espère qu'il y en avait beaucoup et j'espère que tous ceux à qui il incombe de choisir ce qui se construira chez nous à l'avenir, en commençant par Montréal, iront sur l'internet écouter et voir ses conférences TED ou ses présentations dans d'autres forums.

Parce qu'Ingels a expliqué exactement ce qui doit être dit et redit: construire, ce n'est pas une corvée assortie d'une facture toujours trop élevée, ça ne consiste pas à tenter de simplement camoufler ou contourner un problème.

Construire, bien construire, c'est exploiter les défis liés aux circonstances propres au projet - un terrain inhospitalier, un climat hostile, une fonction difficile à faire accepter de l'immeuble à ériger - pour inventer l'avenir.

Un exemple? BIG est en train de construire une centrale électrique alimentée par les déchets domestiques à Copenhague.

Quand je dis Copenhague, je ne parle pas du centre-ville historique, mais je ne parle pas non plus de la lointaine banlieue. Si on était à Montréal, le site de la centrale correspondrait à quelque chose comme l'emplacement des studios Mel's ou le secteur du port.

Il y avait déjà une centrale électrique à cet endroit. Il n'a donc pas fallu convaincre la population d'implanter un immeuble industriel dans un champ vide. Mais il fallait tout de même proposer un projet écologique. Qu'à cela ne tienne, s'est dit l'équipe de BIG. «Nous allons faire un projet super propre, tellement propre qu'on rendra sa propreté manifeste», explique Ingels.

La centrale électrique aura des allures de montagne, elle sera cachée sous un parc. On pourra emprunter un ascenseur pour monter le long de la cheminée jusqu'au toit et, de là, descendre en skiant jusqu'au sol. L'été, il y aura des sentiers pédestres. L'une des façades sera un mur d'alpinisme. «On arrivera peut-être enfin à gagner des médailles aux Jeux d'hiver», blague Ingels.

Et quand la centrale crachera sa tonne de CO2, car cela arrivera, la fumée sera expulsée sous forme d'anneaux, qui seront illuminés par laser durant la nuit. Ainsi, le public verra la pollution, ce qui devrait conscientiser la population, mais aussi la rassurer, transparence du processus oblige.

Le projet doit être achevé en 2017.

À Vancouver, explique Ingels, la tour résidentielle que construit BIG propose aussi une solution inédite à une réalité fréquente dans les villes. La firme danoise érige son immeuble sur un terrain minuscule, un triangle coincé entre trois bretelles routières. À la base du triangle, la tour, de forme rectangulaire, se tord pour dégager la vue, où se profile le panorama de la ville. Audacieux.

Ingels et son bureau travaillent aussi sur un projet à Calgary, la tour Telus, qui abritera à la fois des bureaux et des résidences, et qui transformera la silhouette de la métropole albertaine, avec son style à l'opposé de la tour de Vancouver. En effet, ici, la base sera plus large que les étages supérieurs.

Pour voir le travail d'Ingels, on pourra aussi bientôt aller à New York, où il construit «un immeuble qui ne ressemble pas à un immeuble». Une construction là encore nichée contre une autoroute, au bout de la 57e rue, du côté ouest, qui ressemble à une pyramide modifiée, avec un parc intérieur en rectangle évoquant le rôle de poumon que joue Central Park à Manhattan.

Lorsque je demande à Ingels ce qui distingue les villes qui embarquent dans ses projets de celles qui préfèrent passer outre, il cite plusieurs facteurs. Une sorte d'alignement des planètes nécessaire au déblocage. Mais souvent, ce sont des individus qui tiennent leur bout, qui croient à la nécessité de construire intelligemment. À Vancouver, le promoteur immobilier Ian Gillespie voulait passer à l'architecture «utopique pragmatique» d'Ingels. À New York, note Ingels, l'ancienne présidente de la Commission pour la planification, Amanda Burden, a joué à elle seule un rôle crucial pour la mise en place de projets de qualité, en commençant par le réaménagement de la High Line, le parc aérien de New York. «Elle a mis la barre haut», dit-il. À Copenhague, la directrice de l'usine électrique «est une visionnaire», ajoute l'architecte.

Montréal a-t-il donc besoin que des responsables politiques et administratifs et des gens d'affaires soucieux de développement durable et architecturalement pertinent prennent les devants, choisissent d'agir, de ne plus avoir peur?

«C'est toujours un ensemble d'ingrédients, note Ingels. Il faut toujours montrer, démontrer, qu'on comprend la situation et qu'on se préoccupe du projet. Il faut être très clair au sujet de ce qu'on ajoute. La bonne architecture se préoccupe d'être attentive et d'être intelligente. Et de ne prendre aucune décision sur le pilote automatique. Et c'est à partir de ce moment-là que les gens embarquent.»