Lorsque j'arrive à la Bête à pain, rue Fleury, dans Ahuntsic, où elle m'a donné rendez-vous pour le petit-déjeuner, Annie Desrochers est déjà là, installée devant un café au lait et deux croissants. La journée de la journaliste, celle qui fait la revue de presse à l'émission matinale de la radio de Radio-Canada C'est pas trop tôt, animée par Marie-France Bazzo, est déjà bien entamée.

Après notre rencontre, elle rentrera à la maison suivre l'actualité et se préparer au retour de ses enfants au bercail. Elle en a cinq. Trois à l'école, des garçons qui ont entre 8 et 12 ans. Deux à la garderie, dont une fille de 5 ans qui rentrera à la maternelle en septembre et un bébé-surprise, un petit garçon qui a aujourd'hui un an et demi.

Malgré cette imposante feuille de route, ne la qualifiez jamais de «maman» parce qu'elle trouve le terme totalement infantilisant. Dites plutôt d'elle que c'est une mère.

Et j'ajouterais, après avoir passé deux heures à discuter avec elle de mille sujets touchant de près ou de loin à la maternité, que c'est d'abord et avant tout une femme. Une femme d'idées, d'opinions, une journaliste qui a mis au monde cinq enfants, dont quatre sont nés à la maison, dont deux sans sage-femme. «Je voulais que ce soit moi qui accouche», dit-elle. Pas «être accouchée» par un médecin ou une sage-femme. «Je voulais me réapproprier mes accouchements.»

Elle savait qu'il y avait un médecin pas loin pour l'épauler en cas de besoin, la sage-femme s'est rendue sur place une fois les bébés nés. «On avait tout préparé», dit-elle. C'est la journaliste qui a coupé le cordon ombilical, son mari n'étant pas friand de l'exercice.

La paix

Cette décision audacieuse vous choque? Pensez-en ce que vous voulez, répondra Desrochers, qui en a totalement marre que les femmes soient constamment jugées pour tous leurs choix reliés à la maternité. «Peut-on avoir la paix? demande-t-elle. C'est tout ce que les femmes demandent, peu importe leurs choix. Qu'on leur fiche la paix.»

Le problème de fond, dit-elle, ce n'est pas d'accoucher comme ceci ou comme cela, d'allaiter ou pas. Le problème sous-jacent fondamental, c'est «l'infantilisation des femmes, la dépossession de leur autonomie».

Desrochers, cela dit, est une grande partisane de l'allaitement maternel. Elle y a consacré un livre et a allaité sa fille jusqu'à l'âge de 2 ans et demi. Elle allaite encore son plus jeune. Et elle n'est pas une fan de la surmédicalisation de la maternité. Pour le premier, elle est allée à l'hôpital, au CHU Saint-Luc, où elle a donné naissance à son aîné sans péridurale, mais sans avoir l'impression, non plus, d'avoir été en possession de ses moyens. «Je me suis tout de suite demandé, en fait, pourquoi j'y étais allée.»

Quand son dernier est né, le travail a été très long. La poussée, pénible. A-t-elle jamais eu peur d'accoucher comme ça à la maison, loin de l'hôpital? «Pas du tout. La peur que j'ai eue, à mon dernier, c'est en pensant à ce qui se serait peut-être passé si, au contraire, j'avais été à l'hôpital.» Il pesait 11 livres. «Ça en prend, de la force, tu sais, pour tenir tête à un médecin.»

Écoute et empathie

On se connaît peu, mais on parle sans problème d'accouchement et de détails intimes de la grossesse. «Les femmes ont besoin de parler de ces expériences», dit la journaliste, qui a piloté une série sur la parentalité pour la radio de Radio-Canada. «Il faut de la place pour l'écoute, pour l'empathie.»

Mettre au monde un enfant est une expérience d'une force incroyable, dont l'impact émotionnel est géant. Il est normal, louable, sain que les femmes veuillent en parler et être écoutées. «On dirait parfois qu'une femme qui accouche, c'est un paquet de trouble pour la société», a-t-elle constaté. Ce n'est donc pas elle qui va cesser d'en parler.

Cela dit, le Québec, dit-elle, est une formidable société pour être mère. «Au Québec, j'ai profité de politiques familiales remarquables. Jamais je n'aurais pu, autrement, avoir la carrière et la famille que j'ai.»

Desrochers a beaucoup de sympathie pour les femmes américaines, notamment, qui vivent dans une société en contradiction avec elle-même, où on prône sans arrêt les valeurs familiales sans pour autant permettre aux familles de fonctionner facilement dans le monde d'aujourd'hui.

«Dans la mesure où tu choisis, comme société, de former des filles, de leur donner accès à l'éducation, il faut que tu suives ça de politiques pro-familles, pro-maternité», note-t-elle.

À quoi bon investir des milliards dans des formations professionnelles de toutes sortes, que ce soit des médecins ou des opératrices de machinerie lourde, si elles ne peuvent pas aller sur le marché du travail parce que le prix des services de garde est prohibitif?