Au début du mois prochain, sur les pas de New York et de Los Angeles, Toronto commencera à distribuer des préservatifs gratuitement dans les bars, gymnases, clubs et cliniques de la ville. Pourquoi? Parce que quand c'est gratuit, croit la Santé publique, on s'en sert plus.

Qui a dit que Toronto était pudique?

Pour les activités de la World Pride, événement célébrant la diversité sexuelle qui a lieu du 20 au 29 juin au coeur de la métropole ontarienne, la Ville invite les couples gais du monde entier à venir se marier dans le cadre d'une immense cérémonie de mariage collectif.

Qui a dit que Toronto était straight ?

Allez marcher près de l'Art Gallery of Ontario et levez les yeux au ciel. Est-ce la façade de Frank Gehry que vous voyez ou, dans la rue voisine, l'immeuble sur pilotis multicolores signé Will Alsop de l'OCAD University, grande école d'art de design?

Qui a dit que Toronto était plate?

Et avez-vous goûté aux tapas de Bar Isabel, aux tacos de Seven Lives, avez-vous aperçu la vue totalement spectaculaire, du haut de l'immeuble Mies van der Rohe, du délicieux restaurant Canoe?

Qui a dit que Toronto était insipide?

La ville de Toronto est devenue ou est en train de devenir, comme on dit au pays de Justin Bieber, Feist, Jian Ghomeshi, Rachel McAdams et Atom Egoyan, pas mal hot.

Et elle bouge tellement par les temps qui courent, attire tellement de talents créatifs de partout au Canada, fait tant parler d'elle, autant en cinéma qu'en gastronomie ou qu'en arts visuels - vous connaissez la Power Plant Gallery? Êtes-vous allé voir Bowie ou Ai Weiwei à l'AGO? - qu'on devrait presque commencer à se demander: ma foi, est-ce que Toronto est en train de devenir plus cool que Montréal?

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Il y a longtemps que Montréal a laissé à Toronto le rôle de leader économique du pays. Quelque part au début des années 80, cette évidence s'est imposée avec l'exode des sièges sociaux et du coeur financier du pays vers Bay Street et compagnie. Est-ce à cause de nos référendums, de la Voie maritime, du libre-échange ou de l'hégémonie mondiale américaine favorisant les villes anglophones? Je laisse les historiens et autres universitaires en juger.

Mais pendant combien de temps s'est-on consolé ici de s'être fait ainsi doubler, en arguant que d'un point de vue culturel, Montréal demeurait tellement plus vivant et plus intéressant, tellement plus charmant, agréable. Vous savez: notre «joie de vivre», nos rues festives en été, la convivialité de notre mode de vie, nos troupes de danse, de théâtre, nos musiciens, nos artistes, nos restaurants....

Pendant combien de temps s'est-on répété qu'au moins, à Montréal, on savait manger, on savait créer.

Est-ce encore vrai qu'on est «meilleurs» à cet égard?

Selon le ministère de la Culture ontarien, le secteur «créatif» ontarien, largement concentré à Toronto - on parle ici de tous les domaines de la culture, mais aussi de sphères aussi variées que l'architecture, le design, la pub, les jeux vidéo, etc. -, est maintenant plus important économiquement que le secteur énergétique et représente 70% du secteur automobile, coeur traditionnel de l'économie du sud de l'Ontario.

Citant Statistique Canada, le Ministère note que le secteur créatif croît plus rapidement que l'ensemble de l'économie.

Est-ce étonnant que de plus en plus de Québécois travaillant dans le secteur du cinéma, de la télé, de la pub - réalisateurs, monteurs, concepteurs, etc. - déménagent à Toronto? Et est-ce étonnant que tous ces «créatifs» qui convergent vers Toronto influencent un développement urbain qui cherche à être moderne et avant-gardiste, écolo? Je parle ici de réalités qui vont de l'aménagement audacieux de nouveaux espaces publics - on pense à la plage HtO du Québécois Claude Cormier - à l'ouverture au quotidien de restaurants très actuels, de boutiques destinées à une clientèle qui magasine aussi à Brooklyn ou Shoreditch et de galeries d'art audacieuses dans des quartiers en pleine transformation...

En d'autres mots, vous connaissez à Montréal un hôtel aussi interventionniste, culturellement, que le Drake? Ou un centre de développement durable à la Brickworks Evergreen?

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On ne peut pas comparer des pommes et des oranges. Chaque ville a ses qualités. Et contrairement à certains collègues gastronomes ontariens, non, je ne crois pas qu'on est rendu à mieux manger à Toronto qu'à Montréal. Oui, il y a une diversité culturelle et donc culinaire remarquable - bonjour les bons currys et les bons dims sums -, mais Montréal continue de se défendre fort bien grâce à une histoire gourmande très profondément enracinée. Et Toronto a ses défauts. Je ne suis pas certaine, par exemple, que la construction massive de gratte-ciel résidentiels dans le sud de la ville soit le modèle de développement urbain dont on rêve tous. Les transports en communs pourraient être pas mal plus performants. Et qui est encore ce Rob Ford?

Mais Toronto bouge. Et la ville est vivante économiquement, notamment grâce à une population de plus en plus créative qui la pousse à être trippante. Les cravatés de Bay Street laissent place aux tatoués de Parkdale ou Leslieville. Et ils sont, je vous le dis, pas mal cool.