Je devais être au 15e kilomètre. Le soleil brillait dans un ciel parfaitement bleu, mais il était encore tôt et une brise maritime chargée de parfums d'eucalyptus veillait à garder la température à un niveau tout à fait confortable. À droite, la mer évoquait les meilleurs souvenirs de vacances. À gauche, les collines arides du sud de la Californie évoquaient les rêves dorés hollywoodiens.

Je devais être au 15e kilomètre d'un demi-marathon difficile, rempli de côtes et de replis, et je me rappelle très bien m'être dit que tout était parfait.

Que pour rien au monde je n'aurais voulu être ailleurs. Pourtant, je courais, je courais, épuisée, éreintée.

Pas exactement les mêmes pensées qu'au carrefour Rachel et Pie-IX, l'année précédente, quelques kilomètres avant la fin du 21 km du Marathon de Montréal.

Pas exactement le même sentiment, non plus, qu'au détour d'une rue de Mississauga, où j'ai couru un autre demi-marathon. Pas plus qu'à Ottawa, mon premier, ou qu'à Granby...

Je ne sais pas si c'est l'effet du décalage horaire, les encouragements des palmiers bruissant au vent du Pacifique, la nuit blanche de stress à écouter les vagues se briser au pied de mon hôtel en attendant le départ, le mauvais café américain au réveil... Mais c'est à Malibu que j'ai fait mon meilleur temps à vie.

Depuis, je ne rêve que de retrouver ce sentiment de perfection.

Le bonheur de découvrir, combiné à celui de courir.

Le jour de Pâques, par exemple, je courrai un 10 km à Brooklyn. J'aurais pu aller à Saint-Laurent la semaine d'avant, je l'avoue. Mais tant qu'à aller à New York, pourquoi ne pas en profiter pour prendre le départ et faire quelques tours de Prospect Park? Je n'y vois que des sourires. Avant, pendant, après...

Je me cherche un marathon pour l'automne. Washington? Oslo?

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Parfois, je m'envole sur l'internet en rêvant d'une course perdue au milieu de nulle part, dans un lieu idyllique, parfaite, que personne n'aura encore découverte ou essayée. Je rêve des classiques. Venise? Rome?

Je compare les dénivelés du marathon d'Amsterdam avec ceux de Berlin ou de Londres. Je regarde les prix d'inscription, les dates. Est-ce trop tard dans l'été, aurai-je le temps de m'entraîner après l'hiver, fera-t-il trop chaud, est-ce une jolie ville, est-ce que le parcours est plat, y a-t-il différentes courses pour que tout le monde trouve son compte si on y va avec des amis et des enfants, qu'en pense mon coach, lui qui ne jure que par Philadelphie, Chicago, New York, Boston?

Et le décalage horaire? Et au fait, reste-t-il de la place? Dois-je m'inscrire à un tirage?

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Est-ce la course qui me donne envie de partir loin ou est-ce l'envie de voyager qui trouve un certain apaisement dans l'idée d'en profiter pour courir aussi?

Impossible de départager.

Je ne peux dire qu'une chose, la combinaison course et voyage est magique. Et ce n'est pas seulement grâce aux neurotransmetteurs.

À San Francisco, l'automne dernier, j'ai fait un temps pourri sur un parcours de rêve. Le Golden Gate, un peu de Presidio, un peu de Marin County. Mais entre les côtes plutôt costaudes et ma montre qui me parlait en miles - erreur de débutant - j'ai raté mon objectif. Peu importe. La silhouette de San Francisco, vue du pont doré, c'est le genre d'image qui s'imprime dans un bonheur indélébile. Même chose pour tout l'accueil ensuite, avec les jus verts bios et les machines à étirements high tech. So California...

S'engager à faire une course à l'autre bout du monde ou du pays donne un but, un sens, à un voyage, fait naître un esprit d'équipe nouveau aussi, qui unit ceux qui partent ensemble vers un objectif commun. La course structure en outre l'escapade. Il y a «l'avant», où l'on essaie de ne pas boire d'alcool et de manger les bonnes choses, de dormir tôt, où l'on discute de stratégies, de rythme. Il y a «l'après», où l'on célèbre, dopés aux endorphines, remplis de fierté, où l'on se raconte les mêmes anecdotes en riant, pour que l'expérience se poursuive, continue de vivre.

Il y a les joies du voyage et de la course qui se rencontrent, se multiplient, se propulsent.

Le gros bonheur à pied.