Gros coup de déprime hier en apprenant que BIXI a demandé à être protégée de ses créanciers.

Pour une fois que Montréal avait un programme sympathique, utile, innovateur, populaire, qui améliore vraiment notre qualité de vie... Pour une fois qu'on était fier de dire aux New-Yorkais ou aux Londoniens: «Oui, ça vient de chez nous, ça...» Pour une fois qu'on avait pratiquement l'unanimité autour d'un nouveau symbole identitaire propre à notre ville.

Pour une fois...

«Je suis convaincu que ce n'est qu'un problème temporaire et que le système va rouler au printemps, comme promis», m'a dit hier après-midi Taras Grescoe, auteur de Straphanger, livre consacré aux transports collectifs à travers le monde. Grescoe voulait absolument se faire rassurant. «C'est un système fantastique qui apporte beaucoup à la ville. Et il y a trop de prestige associé à son succès pour qu'on décide de l'abandonner.»

Je veux croire Taras. Tout comme je veux croire le maire Denis Coderre, qui a promis hier après-midi en conférence de presse qu'on aurait encore des BIXI à la prochaine saison.

Mais j'avoue qu'en cette mi-janvier morose et météorologiquement déréglée, où la commission Charbonneau nous offre encore et toujours sa fenêtre désespérante sur l'incompétence et la corruption qui règnent au sein de notre ville, où l'on vient de nous apprendre une fois de plus que le pont Champlain est dans un état de décrépitude avancé, j'avoue qu'en ces temps flous, il est difficile de rester enthousiaste et souriant. BIXI semble être juste un autre symbole de notre incapacité à faire bien les choses.

Le projet, en soi, est génial. Le système fonctionne bien. Je l'utilise régulièrement et je n'ai jamais été déçue. À part quelques vélos mal en point à l'occasion. À part la nécessité d'attendre un peu, parfois, pour trouver un espace libre où raccrocher la bicyclette, à part sa lenteur à s'installer dans mon quartier, je n'ai jamais eu quoi que ce soit à dire contre ce système de partage. Au contraire. Je ne fais que répéter à quel point ces bicyclettes sont plus que des roues pour nous transporter, mais bien des véhicules qui nous ouvrent de nouvelles fenêtres sur la ville, qui nous donnent une liberté qu'on n'a ni à pied ni en voiture et encore moins en bus ou en métro. Chaque fois que j'enfourche un vélo, j'ai l'impression de revenir un peu en enfance. Pouvoir le faire pour aller m'acheter un sandwich ou rouler vers une entrevue est, chaque fois, une joie volée à la routine du quotidien.

Mon utilisation de BIXI, cependant, correspond pas mal à ce que certains chercheurs ont trouvé - notamment une équipe de McGill en 2010 - quand ils se sont penchés sur les retombées du programme. Le vélo remplace la marche, il remplace le taxi, il remplace le transport en commun. Par contre, il remplace rarement ma voiture, parce je m'en sers pour transporter des enfants, les miens et ceux des amies avec qui je fais du covoiturage.

BIXI, malgré ses immenses qualités, n'est pas une machine à transformer les mentalités. Et ses vertus ont des limites pratiques.

Est-ce que cela signifie qu'il faille l'abandonner? Non. Le transport collectif, surtout quand il est innovateur, est un choix de société à long terme, un outil de développement. On ne peut en mesurer l'impact réel après seulement un an, comme l'a fait cette recherche de McGill souvent citée.

Cela dit, la situation financière du projet est désastreuse et décourageante. La déclinaison du concept à l'étranger - les BIXI sont de Londres à Melbourne, en passant par Minneapolis et... Toronto - n'a pas apporté les liquidités dont avait besoin l'entreprise. La vente des activités internationales n'a pas marché, les paiements attendus de Chicago et New York sont retenus en attendant que des problèmes techniques soient réglés. Les dettes sont donc hyper élevées. Et la structure financière ne permet pas au programme de faire ses frais: déplacements des vélos, entretien des bicyclettes et des stations, etc.

Cette société est, de toute évidence, mal gérée. Le vérificateur général nous l'avait d'ailleurs dit. Sauf qu'on aime tellement nos BIXI qu'on a un peu regardé ailleurs, en sifflotant, quand il nous l'a annoncé en nous disant que le succès populaire de ces vélos partagés finirait bien par garantir leur survie. Désastre de gestion? On n'y croyait pas.

Sauf que nous voilà maintenant devant l'évidence que nous refusions de voir.

Nous ne pouvons pas laisser BIXI mourir. Il faut profiter de la pause qu'accorde la Loi sur la faillite et l'insolvabilité pour trouver une solution. Et pas seulement parce que nous voulons tous des vélos à emprunter au printemps autant que nous voulons que cesse l'hémorragie financière. Il faut sauver BIXI parce qu'il faut sauver notre confiance en nous, notre conviction que nous sommes capables de mener à terme des projets porteurs pour notre ville.

Si BIXI tombe à l'eau, c'est toute notre croyance en notre capacité d'innover qui sera emportée. Or, il faut absolument continuer d'aller de l'avant, de penser mieux et plus pour Montréal. Montrons-nous à nous-mêmes que le Montréal nouveau, celui qui n'est pas parfait, mais sait se sortir du pétrin et repartir en mieux, est réellement arrivé.