La police a annoncé hier que deux personnes ont été arrêtées en lien avec la tragique histoire de Rehtaeh Parsons.

Il était temps.

Grand temps que ce cas de cyberintimidation, pris en charge par l'appareil judiciaire, aboutisse à des procédures. Grand temps qu'il serve d'exemple pour faire comprendre aux futurs harceleurs que leurs crimes ne peuvent rester impunis.

Le harcèlement criminel sur Internet doit cesser, doit être condamné, dénoncé, surveillé, endigué.

C'est la peste moderne. Une petite vérole virtuelle qui attaque les jeunes âmes fragiles, les torpille, les meurtrit sans limites. C'est un mal qui nous guette tous. Qui vise souvent les femmes, les gais, tous ceux qui dérangent les ignorants et les frustrés qu'on appelle «trolls», ces gens qui croient qu'ils se sentiront bien en diffusant le mal.

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Rehtaeh avait 17 ans quand elle a tenté, au printemps dernier, de se suicider. La tentative a échoué, mais elle l'a laissée dans un état végétatif. Trois jours après le drame, sa famille a décidé de ne plus la maintenir en vie artificiellement. Elle est morte le 7 avril dernier.

Pourquoi la jeune femme a-t-elle tenté de s'enlever la vie?

Parce que, disent ses proches, elle était victime d'une campagne de salissage sur l'internet par le truchement de textos, Facebook et compagnie. Parce que non seulement elle avait été agressée sexuellement quelques mois avant sa mort, mais parce qu'on avait diffusé des photos de l'agression. Des clichés horribles. Troublants. Le genre d'images dont on se remet difficilement. Et qui laissent peu de doute sur la nature criminelle des gestes posés.

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Rehtaeh n'est ni la première ni la dernière à sombrer après avoir été victime d'une campagne de cyberdémolition.

Le Guardian rapportait récemment qu'on relie une demi-douzaine de suicides de jeunes à un nouveau site web hyper populaire appelé ask.fm, où les jeunes peuvent discuter entre eux de façon anonyme, sans balises, sans encadrement. Pas plus tard que la semaine dernière, une enfant de 14 ans du Leicestershire, au Royaume-Uni, a été retrouvée pendue dans sa chambre par sa soeur de 16 ans. Son père a expliqué que sa fille avait été victime d'une campagne sauvage sur ask.fm.

Ce site, qui est basé à Riga, en Lettonie, et dont le nombre de membres explose en ce moment, offre la liberté totale aux jeunes qui y souscrivent par millions. Environ la moitié des 60 millions d'utilisateurs inscrits ont moins de 18 ans. En gros, les jeunes s'y posent des questions: «Quelle est la couleur des chaussures que tu portes aujourd'hui?» «En qui fais-tu le plus confiance? Tes parents ou tes profs?»

Mais les questions dérapent aussi. «As-tu déjà fait l'amour sur une plage?» «Es-tu amoureuse de Untel?» Sur la page que l'on affiche pour écrire les questions, il n'y a qu'une simple petite case à cocher pour devenir parfaitement anonyme et entrer directement dans la vie virtuelle de la personne interrogée.

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Il y a 10 jours, des femmes qui ne sont plus des adolescentes, mais qui sont elles aussi victimes d'une campagne d'insultes sur le web, ont décidé qu'elles en avaient marre et qu'elles allaient commencer à le faire savoir haut et fort.

Caroline Criado-Perez, une journaliste et chroniqueuse britannique menacée notamment de viol parce qu'elle a osé lancer et gagner une campagne pour que des femmes apparaissent sur les billets de banque du Royaume-Uni, a demandé officiellement au réseau social Twitter de changer ses politiques pour mieux protéger les usagers contre les «trolls», ces insulteurs anonymes au fiel intarissable. Pour qu'on puisse les dénoncer très aisément plutôt que par un système fastidieux.

La députée travailliste Stella Creasy a appuyé la campagne de Mme Criado-Perez. Résultat: elle a elle aussi été victime d'un déluge de propos orduriers sur le web. Et les a dénoncés.

Dimanche, la chroniqueuse Caitlin Moran du Times de Londres a lancé un boycottage de 24 heures de Twitter, demandant à son tour que le réseau soit plus vigilant et que les gens de bonne volonté montrent leur appui aux victimes de cyberintimidation.

Depuis, un homme de 32 ans a été arrêté à Bristol en lien avec les menaces criminelles proférées à l'endroit de Creasy et de Criado-Perez.

Ouf.

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La cyberintimidation est une peste. Une petite vérole virtuelle de notre époque. Toutes les femmes qui prennent la parole sur le web pour brasser la cage, pour exprimer des opinions susceptibles de déranger les dinosaures - ou pour exprimer des opinions tout court - vous le diront. Les boîtes de messages de nos blogues prennent parfois des allures d'égouts. Modérer le tout est à peu près aussi agréable que de nettoyer les latrines.

C'est désagréable. Souvent, ça lève le coeur.

Mais quand on a de l'expérience, quand on est habitué à faire face aux opinions discordantes, on peut s'en remettre. Y faire face avec vigueur, comme l'ont fait les Britanniques.

Quand la cyberintimidation touche les jeunes, elle tombe sur des âmes encore vulnérables qui n'ont pas la solidité d'une columnist du Times ou d'une femme politique aguerrie.

Nos ados et nos jeunes adultes veulent être libres d'aller sur l'internet comme des grands, mais ils ne se rendent pas compte que le web, c'est comme une autoroute. Ce n'est pas parce que tu sais tenir un volant que tu sais conduire. Et ce n'est pas non plus parce que tu réussis à rouler pendant des dizaines de kilomètres sans avoir d'accident que tu sais conduire, que tu sauras quoi faire quand un imprévu surgira de nulle part pour provoquer un carambolage peut-être meurtrier.

Il faut arrêter de laisser nos enfants se balader trop souvent seuls dans des eaux virtuelles que guettent mille tornades, mille tsunamis.

Ce n'est pas parce qu'il ne leur est encore rien arrivé qu'ils sont en sûreté.

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca