Non, ce n'est pas la dernière invention de Ferran Adria. Elle provient plutôt d'un laboratoire universitaire.

Il y en a qui l'ont surnommé le «frankenburger». D'autres l'appellent steak haché synthétique, un vocable guère plus appétissant.

Il s'agit de viande créée à partir de cellules souches de boeuf qu'on a mises dans un environnement où elles ont pu se reproduire. Ce n'est pas la viande d'un animal créé in vitro ou cloné. C'est de la viande artificielle, qui a poussé dans un bol.

Mais apparemment, selon ceux qui y ont goûté hier à Londres, ce n'est pas aussi repoussant au goût qu'on pourrait le croire.

«C'est plutôt neutre. Fort bon, clairement de la viande. Un peu comme un pain de viande. Clairement du boeuf. Oui, je l'utiliserais, absolument», a déclaré à la BBC le chef Richard McGowan, qui est parti de Cornouailles pour se rendre dans la métropole britannique afin d'y goûter, hier après-midi.

Un groupe trié sur le volet a ainsi pu essayer ce nouveau produit, qui devait à l'origine être lancé en octobre, en présence du célèbre chef de cuisine moléculaire britannique Heston Blumenthal.

Le journaliste gastronomique londonien Joe Warwick n'est pas convaincu que si l'expérience avait été réalisée à l'automne, comme prévu à l'origine, on y aurait accordé autant d'importance, autant d'espace à la une des journaux.

Au Royaume-Uni, on appelle ce moment de l'année «silly season», explique-t-il. L'expression est consacrée. Ce moment de l'année où, privés de nouvelles importantes, les médias parlent de nouvelles plus cocasses, légères, anecdotiques, insolites.

Du boeuf synthétique? Si vous voulez mon avis, silly indeed.

L'idée derrière le projet du professeur Mark Post, biologiste néerlandais de l'Université de Maastricht, est notamment de trouver d'autres moyens de créer des protéines animales que par l'élevage traditionnel. Des moyens plus écologiques, moins cruels, peut-être plus économiques aussi, même si, pour le moment, la viande se détaille à plus de 300 000$ la boulette!

Prendre des quantités astronomiques de grain et de fourrage pour nourrir des bêtes et créer des quantités de viande proportionnellement beaucoup plus petites n'est pas une façon logique et durable de produire de la nourriture, disent depuis toujours les végétariens et écologistes qui remettent en question nos habitudes carnivores. Le journaliste français Aymeric Caron vient de consacrer un nouvel ouvrage, No Steak, à la question. Il y explique comment, selon lui, on n'aura pas le choix de devenir végétarien à long terme, notamment pour des raisons éthiques, de santé et parce que cette allocation des ressources est inévitablement vouée à l'échec, impossible à maintenir.

Mais la viande artificielle est-elle vraiment le chemin à prendre?

Je crois, comme M. Caron, que notre consommation de viande actuelle n'est pas durable. Je ne crois pas, personnellement, qu'on doive cesser d'en manger, mais réduire notre consommation semble essentiel. Réduire le gaspillage aussi. Nous devons mieux respecter les bêtes, les manger au complet, tout utiliser efficacement pour nourrir des humains.

C'est une mentalité industrielle qu'il faut changer avant de commencer à rêver de tripoter les cellules souches.

Créer un burger synthétique, c'est partir de la prémisse qu'il nous faut des burgers. Que si on ne peut plus les produire en élevant des boeufs dans les champs laissés vacants par la destruction des forêts pluviales, alors qu'il faut trouver une autre solution.

Mais a-t-on tant besoin de burgers que ça?

Voilà la question qu'il faut poser.

Pourquoi ne mangerait-on pas plutôt des pois chiches, des insectes qui existent déjà, des plantes qui poussent facilement sans nécessiter des tonnes d'engrais et des kilos de pesticides? Pourquoi ne cherche-t-on pas de ce côté-là avant d'essayer de créer de la viande artificielle?

Et pourquoi ne pas essayer de manger autre chose, point?

Doit-on à tout prix chercher à imiter la vraie viande (ce dont, paradoxalement, les végétariens sont très souvent coupables aussi)? A-t-on besoin de pseudo-boeuf? Pourquoi ne pas manger des pâtes au pesto à la place? Des aubergines au parmesan? Un curry de chou-fleur, une omelette aux pommes de terre à l'espagnole?

Pas besoin d'être végétarien pour savoir qu'il y a une vie au-delà de la viande. Le restaurant Vin Papillon, qui vient d'ouvrir rue Notre-Dame Ouest, près du marché Atwater, piloté par les mêmes propriétaires que le Joe Beef, consacre presque tout son menu à des plats de légumes. Tendance? Je l'espère.

Ce n'est pas dans une éprouvette qu'on va sauver l'humanité. C'est en cessant de mal consommer. C'est en réapprenant à manger ce qu'on a déjà. C'est en recommençant à cuisiner.