Le hasard fait drôlement les choses. Un message sur ma boîte téléphonique. Le frère d'une des victimes de la tuerie de Polytechnique qui me demande un conseil professionnel pour un reportage en Scandinavie. Son numéro de portable. «Appelle-moi si tu as le temps.»

J'aurais aimé qu'on parle de la Suède, de la beauté des fjords norvégiens, des plages sauvages du Danemark. Sauf qu'hier est tombé comme un coup de massue le jugement de la Cour d'appel du Québec donnant un autre feu vert à ceux qui veulent détruire les données du registre des armes à feu instauré dans la foulée du 6 décembre 1989.

Donc on a parlé de déception, de découragement, de se voir bouche bée devant l'acharnement d'Ottawa contre le registre, de toute cette énergie dépensée dans la foulée d'une tuerie d'une cruauté sans nom, maintenant niée, rejetée...

Une chance que le gouvernement conservateur a annoncé hier soir que les données resteraient intactes en attendant la décision finale de la Cour suprême sur la question. Une chance.

Personne n'a jamais dit que le registre était parfait. Mais l'effort de mettre en place ce système était louable. L'effort de vouloir faire quelque chose pour que Poly n'arrive plus jamais. Pour que les tragédies de Dawson, de Concordia, et tous ces meurtres conjugaux commis avec des armes domestiques ne fassent plus partie de notre réalité, ou de moins en moins.

Le registre, c'était une volonté d'agir. Une politique publique visant non pas à interdire les armes, mais à réglementer de façon plus serrée leur utilisation, leur présence dans les maisons, entre les mains de gens qui, comme tous ces tueurs qu'on a vus apparaître depuis 10, 20 ans, sortent de nulle part, surtout aux États-Unis, mais aussi ici, pour assassiner des innocents.

Ce registre, les proches des victimes de Polytechnique, avec l'aide d'une vaste coalition formée notamment de policiers, se battent depuis 23 ans pour le mettre en place, le garder, pour sa survie.

Hier, c'est l'injonction permettant à Québec de protéger l'information du registre, de la garder intacte en attendant que la Cour suprême ne statue sur le fond de la question - la province peut-elle garder les informations concernant son territoire pour mettre en place son propre programme, même si Ottawa a aboli cette politique dans le reste du pays - qui n'a pas été reconduite.

C'est à cette décision, pourtant demandée par les procureurs fédéraux, qu'Ottawa a répondu hier en disant de ne pas s'inquiéter, que non, les données ne seraient pas détruites.

Étrange de demander un avis à la Cour pour ensuite dire que finalement, on n'en avait pas besoin...

Ce dossier traîne, est complexe, coûte cher, alors que l'argument principal antiregistre était son prix...

On a effectivement dépensé des millions et des millions pour récolter l'information sur les armes partout au pays, dont les 1,6 million d'armes non restreintes enregistrées au Québec, dont les Ruger Mini-14, arme utilisée dans le massacre de Poly. L'abolition du registre ne redonnera jamais l'argent dépensé aux contribuables, mais qu'à cela ne tienne, les conservateurs avaient promis de démolir le programme avant les élections et, une fois élus, ils ont pris les mesures pour le faire.

On peut être en désaccord avec cette décision. Toutefois, cela faisait partie du programme électoral de Stephen Harper. Accepter cette décision même si elle nous pue au nez fait partie de la vie en démocratie.

Là où la question devient plus subtile, c'est qu'au Québec, la population n'a pas voté pour ce plan électoral et qu'elle est en faveur du contrôle des armes et du registre. Apprenant qu'Ottawa mettrait bel et bien fin au programme, le gouvernement libéral précédent et le nouveau gouvernement péquiste ont tous les deux décidé de tout faire pour que le Québec puisse conserver la portion québécoise du registre, les données qui existent déjà, pour établir un système provincial distinct.

Hier, la Cour d'appel a dit que tout pouvait être détruit avant que la Cour suprême ne donne son avis. En d'autres mots, selon la logique de la Cour, le tribunal de plus haute instance pourrait dire que Québec a le droit d'établir son propre système pour récolter les mêmes données que celles de l'ancien registre fédéral mis en place par les conservateurs de Mulroney, bonifié ensuite par les libéraux de Jean Chrétien et puis détruit par les conservateurs de Harper. Mais il donne quand même la permission à Ottawa, entre-temps, de tout effacer.

Une chance que le gouvernement fédéral a été plus raisonnable.

Les mêmes conservateurs qui hurlent au gaspillage depuis toujours au sujet de ce registre ne peuvent être prêts à gaspiller allègrement des informations uniquement parce qu'ils sont dogmatiquement contre le registre.

Pour une fois, Stephen Harper ne joue pas avec le feu, ne préfère pas faire plaisir à ces électeurs pro-fusils, quitte à faire enrager les pro-contrôle des armes québécois.

Pour une fois, il est logique devant la question du gaspillage d'argent.

Maintenant, avant d'engager plus de frais juridiques, pourquoi ne pas laisser tout de suite Québec aller de l'avant avec son registre et fermer le dossier avec ce compromis honorable?

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca