Il y en a hier qui hallucinaient sur le fait que le chef Martin Juneau du Pastaga fasse de la publicité pour McDonald, multinationale dont les principes fondateurs ne sont pas exactement semblables à ceux des restaurants indépendants de quartier qui, comme le sien, s'approvisionnent chez les petits producteurs régionaux et prônent la cuisine saisonnière créative.

Et je ne suis pas en désaccord.

Mais moi, hier, j'hallucinais plutôt sur le fait qu'en arrivant chez moi, après avoir mordu dans une tomate lavée au robinet, je me suis soudainement arrêtée en me demandant: «Coudonc? Est-ce que je vais m'empoisonner en mangeant cette tomate lavée avec l'eau sale de Montréal? Ou en mangeant une tomate pas lavée provenant de je ne sais où...»

J'ai remis la tomate sur le comptoir. Découragée.

Vous trouvez ça normal, vous, qu'en 2013, à Montréal, on n'ait pas d'eau potable à la maison en revenant du bureau? «Ça me rappelle Lima dans les années du Sentier Lumineux quand il fallait laver nos fruits avec de l'eau en bouteille», ai-je entendu dans ma cuisine.

J'ai laissé tomber ma tomate. Oublié mes projets de fuir vers Laval ou Ahuntsic, zones épargnées, mis de l'eau à bouillir. Et je suis partie à l'épicerie acheter quelques bouteilles d'eau.

Pas avec le plus grand enthousiasme. Voilà des années que je ne le fais plus, que je privilégie le robinet et à la maison et au restaurant. Et je vous épargne ici tous mes longs laïus sur l'absurdité d'acheter de l'eau en bouteilles lourdes à transporter et écologiquement onéreuses alors qu'on a un réseau de distribution parfaitement correct... blablabla, parce que je ne le referai plus pour un bon moment. (Et pardon à tous ceux dont j'ai cassé les pieds, d'ailleurs, depuis quelques années à ce sujet.)

Au supermarché, inutile de vous préciser qu'il ne restait que l'eau la plus chère, incluant celle venue des îles Fidji. En petites bouteilles en plus. Le paquet de six fois 500 ml m'a coûté 9$. Ridicule. Crispant.

Je suis rentrée à la maison en pestant. Et en écoutant mes enfants me raconter comment ils avaient été avertis de l'interdiction de boire de l'eau à l'école avec le même système que celui qui est utilisé pour les simulations de crises. Un peu ébranlés, les cocos.

Merci la Ville de Montréal de si bien gérer les services municipaux.

Et encore bravo.

***

Même le grand metteur en scène allemand Thomas Ostermeier n'aurait probablement pas pu mieux imaginer lui-même.

Alors qu'il se préparait hier à ouvrir le festival TransAmériques avec sa pièce d'Henrik Ibsen Un ennemi du peuple, qui traite d'eau contaminée, la Ville ouvrait tout grand, un peu partout, ses bornes-fontaines et enjoignait à la population de faire bouillir l'eau pratiquement partout au sud de la Métropolitaine.

Problème dans un réservoir, a-t-on expliqué, même si sur le site web de la Ville, on ne péchait pas par excès de détails. Eau sale. Rien de dramatique, mais précautions à prendre.

À l'extérieur de La Presse hier midi, la scène était saisissante. L'eau giclait de deux bornes, transformant le boulevard Saint-Laurent en improbable rivière asphaltée. Un peu partout dans la ville, même topo. Parfois, l'eau avait une couleur brunâtre. Parfois, on la voyait limpide. Mais il y avait dans l'air un fond de crise.

On a beau se dire qu'il faut rester calme, rester calme calme calme et blaguer qu'on peut toujours boire de la bière, ne pas avoir accès librement à l'eau potable a quelque chose de profondément déstabilisant.

Enrageant.

Combinons ça avec les histoires d'horreur de corruption qu'on endure depuis des mois à la commission Charbonneau, mixez au tout des ponts et viaducs qui vieillissent désastreusement mal, des paralumes qui tombent, des nids-de-poule chroniques...

Nous voilà parfaitement justifiés d'être carrément en colère, outrés, écoeurés...

Quels bas fonds de mauvaise gestion va-t-on atteindre?

Et ce maire invisible, on ne lui reprochera certainement pas son absence pour cause de deuil. Mais son équipe aurait pu envoyer un bras droit rassurant pour venir parler à sa place à la population.

Y a-t-il un pilote dans l'avion?

Au moins, le maire ne fume pas de crack.

C'est tout ce que je vois de positif à dire aujourd'hui.

Ça ira peut-être mieux demain.

Mais je ne promets rien.