«La pire chose, c'est l'attente. Quand tu n'es pas certain d'où sont tes proches... Tant que t'as pas de nouvelles...»        

Robert Davis, coureur de longue date, a passé deux heures hier après-midi sans nouvelles de sa Marie-Josée qui, il ne le savait pas, était bloquée au 41e kilomètre du marathon de Boston, pratiquement au fil d'arrivée. Deux heures de chaos, de hurlements de sirènes, de tumulte général, de nouvelles horribles. Deux heures de sang de cochon.

Pendant que Marie-Josée Gariepy, autre marathonienne aguerrie, grelottait de son côté sur le pavé, affamée, agglutinée avec des centaines d'autres coureurs bloqués eux aussi à un kilomètre du fil d'arrivée.

«On était sur le point de terminer quand on nous a tous arrêtés. Exténués. Inquiets. Et pendant 45 minutes, on est restés là sans nouvelles, sans explications. De plus en plus nombreux. On savait seulement ce que les coureurs qui avaient leur téléphone pouvaient nous dire...»

Finir un marathon sans couverture, sans hydratation, sans nourriture, voilà qui est loin d'être idéal. Très dur physiquement. Le corps éprouvé par la longue course a besoin d'être dorloté à l'arrivée. Dans la rue, les passants ont donc commencé à apporter des sacs-poubelles, de l'eau.

Mais le plus dur, explique Marie-Josée, c'était de ne pas avoir de nouvelles de Robert. «Ne pas savoir, c'est épouvantable. Avec une amie, on a réussi à envoyer un texto à une amie par le téléphone d'un autre coureur. Un message qui disait: "Appelez nos proches". Mais rien n'était clair. L'appareil nous a dit "system failure".» Le grand trou noir.

Le grand trou noir de la tragédie, de l'attentat, de la mort et de la violence qui n'arrêtent pas de frapper l'Amérique. Et par le fait même, nous aussi, les voisins.

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Boston, c'est la cour arrière de Montréal. Le marathon le plus mythique de la planète. Celui pour lequel tous les coureurs de longue distance veulent se qualifier. Parce que ce n'est pas n'importe qui qui peut courir Boston. Il faut avoir prouvé, à un autre marathon officiellement reconnu, que l'on peut courir suffisamment vite, les temps limites variant selon le sexe et l'âge et le nombre de participants.

Tous ceux qui s'intéressent un peu à la course, au jogging vous le diront: hier, on avait tous des amis au marathon de Boston.

Quand la nouvelle est arrivée, c'est la première chose à laquelle on a pensé. Marie-Josée! Robert! Michel!

Êtes-vous OK?

Symbole d'une Amérique gagnante, en forme, performante, qui peut sembler arrogante aux yeux de certains, le marathon de Boston est aussi le symbole d'un sport noble, mais démocratique, accessible. On est loin d'Augusta ou de la F1 quand les foules haletantes commencent à cheminer sur les douces collines du Massachusetts. On est chez les simples coureurs qui chaussent tout simplement leurs runnings et essaient d'avaler les kilomètres.

À l'arrivée, ce n'est pas une victoire contre les autres que les amateurs célèbrent, mais la victoire contre l'improbable: réussir à courir les 42 kilomètres d'un parcours difficile, où le dénivelé a la réputation d'être coriace.

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Robert Davis a vu l'explosion. Il l'a ressentie. «Ça a fait un bruit assourdissant. J'ai senti la pression à travers mon thorax, j'ai vu la fumée grisâtre.» Et puis, une deuxième détonation s'est fait entendre.

Le lieu où une des deux bombes a explosé, à 300 mètres d'où il était, était rempli de gens, explique-t-il. «C'était l'endroit où il y avait une concentration maximale de coureurs et de spectateurs, surtout quatre heures après la troisième vague, quatre heures et demie après la deuxième vague.»

Le poseur de bombe n'a pas choisi cet endroit par hasard.

Marie-Josée n'ira probablement pas faire le marathon de New York à l'automne, comme prévu. «Non, ça va faire», lance-t-il. La coureuse se laisse le temps d'y réfléchir, mais la violence l'a dégoûtée. La peur s'est installée. Un certain écoeurement. «Ça va tout changer, dit-elle. On ne se sentira jamais plus comme avant.»

Adieu la bonhommie joyeuse. Adieu l'insouciance. Adieu la pureté du bonheur de se lancer sur la route tous ensemble sans penser à autre chose qu'à sa respiration, ouf, ouf, ouf. Adieu la belle liberté de tous les clichés de Chariots of Fire ou des slogans les plus racoleurs des pubs de chaussures de course. Adieu l'impression de fuir le quotidien pour jouer à la tague avec l'inertie. «Tu m'attraperas pas, tu m'attraperas pas...»

Adieu le bouleversement de la foule, de la fébrilité du moment.

Adieu la course comme avant.