Au lendemain de la démission du pape Benoît XVI, le quotidien français Libération a publié, pour commenter l'événement, un éditorial écrit entièrement en latin, langue que parle couramment le directeur de rédaction et auteur du texte, Nicolas Demorand, et utilisée par le Vatican pour annoncer la nouvelle.

Audacieux. Original. Génial, ai-je envie de dire.

Mais croyez-vous, réellement, qu'un journal aurait pu oser la même chose ici?

Ou ne sommes-nous pas rendus à un point où non seulement les journalistes connaissant à ce point le latin sont rarissimes, mais aussi où montrer qu'on a une telle culture linguistique aurait été désastreusement mal vu. Perçu comme prétentieux. Trop intellectuel...

J'entends déjà les commentateurs. «De kessééééééé?»

Ne sommes-nous pas en train de devenir populistes à outrance et ce populisme n'est-il pas en train de faire totalement déraper nos efforts collectifs de défense du français? Notre langue. Notre vecteur identitaire et culturel crucial.

Voilà la question que je me suis posée en lisant ledit éditorial de Libération - dans sa version traduite en français -, mais aussi en tombant sur l'internet sur la plainte à l'origine de l'enquête que l'Office québécois de la langue française (OQLF) a menée au Caffè in Gamba, sur l'avenue du Parc, une des nombreuses enquêtes ayant donné lieu à des gestes aberrants de l'OQLF dont on a parlé récemment.

Le document, que j'ai trouvé sur le site du Mouvement Québec français, est hallucinant.

La personne qui a porté plainte s'y demande si le nom Caffè in Gamba, ce n'est pas de l'espagnol mélangé à de l'anglais!

Le mot «in» est écrit? Horreur! C'est nécessairement de l'anglais! Vivement les grands moyens!

Pas le temps d'arrêter et de chercher sur l'internet ce que cela peut signifier, pas le temps d'entrer et de demander, en français, à la caissière, ce que ce nom veut dire et en quelle langue.

Pourquoi ne pas tout de suite sauter aux pires conclusions.

Pourquoi ne pas alerter l'OQLF et ainsi enquiquiner des gens qui n'ont sûrement rien d'autre à faire et tout plein de temps à perdre...

Attendez. Il n'y a rien de mal à ne pas savoir ce que le nom de ce café veut dire. À ne pas connaître l'italien. Mais à ne pas avoir essayé de comprendre? À avoir tout de suite sauté là-dessus?

Oui.

Dans la vie, vous dites à vos enfants de voir l'inconnu comme un ennemi à abattre ou d'ouvrir les yeux au cas où il n'y aurait pas là une occasion de se coucher moins ignorant?

Je ne sais pas ce qui arrivera à l'OQLF maintenant que la patronne est partie et qu'elle sera remplacée. Je ne sais comment on ajustera les règles pour que la chasse aux sorcières des dernières semaines cesse et que l'organisme arrête, par le ridicule de certaines de ses décisions, d'être le meilleur allié des adversaires de la francisation.

Mais au-delà de ces ajustements, c'est notre attitude devant la langue, devant les langues, voire devant la Culture avec un grand C qu'il faut changer.

On l'a demandé et redemandé au fil des décennies, mais la question demeure plus vraie que jamais.

Valorise-t-on vraiment le français? Ou, au nom de la défense de sa langue, ne sommes-nous pas en train de chercher des excuses pour nous clôturer frileusement dans un univers unilingue hermétique?

Il y a quelques semaines, un professeur de français qui travaille avec des immigrants en cours du soir a pris contact avec moi*. «Pourriez-vous m'aider? Je cherche des francophones prêts à faire du bénévolat pour aider mes élèves à faire la conversation et j'ai énormément de difficulté.»

Son idée: provoquer quelques courtes rencontres entre francophones et allophones pour passer une partie du temps à parler français et l'autre à parler la langue de l'étudiant. Espagnol, italien, allemand, chinois... «Tout le monde veut que les immigrants apprennent le français, mais apparemment, ils n'ont pas le temps de les aider.»

Tout est là. Tout le monde est super attaché au français et veut que tous ici le parlent et que cette langue vive énergiquement. Mais personne n'a le temps d'aider les autres à l'apprendre. Oh, et personne n'a le temps ni la volonté, apparemment, de rendre la pareille aux autres en déployant envers leurs langues une minime partie des efforts que l'on exige des autres à l'égard de la nôtre.

On veut quoi exactement?

C'est à en perdre son latin.

* Si vous voulez participer à ce programme, vous pouvez écrire à bergeron.ju@csdm.qc.ca