Pouvez-vous croire que mercredi, à l'Université de Lethbridge, un ancien conseiller proche du premier ministre Stephen Harper, aujourd'hui professeur à l'Université de Calgary, a dit qu'il avait des doutes sérieux sur la nécessité de mettre en prison les gens qui consomment de la pornographie juvénile?

Selon lui, que ces êtres ignobles aiment regarder des images de garçonnets en train d'être violés par des hommes âgés ou des fillettes de 5 ou 6 ans en positions tellement suggestives qu'on ne les décrira pas dans ce journal n'est pas un crime, mais une question de goût. «Taste in pictures», a-t-il dit. Bref, si certains aiment les photos de soleil couchant au-dessus de la mer, d'autres aiment des choses différentes et c'est tout. Vous aimez les fraises, je préfère les bleuets. Pas plus compliqué que ça.

Un coup parti, pourrait-on demander à Tom Flanagan, puisqu'il s'appelle ainsi, s'il faut réellement mettre les violeurs en prison? Si on suit sa façon de penser, on pourrait dire que certaines personnes aiment les relations sexuelles consensuelles alors que d'autres préfèrent les pratiques où la fille crie qu'elle ne veut rien savoir, et pleure et se débat. N'est-ce pas une question de goût au lit? L'État doit-il s'immiscer là-dedans?

Ah, c'est différent, vous dites.

Différent comment?

Il n'y en a pas, de différence.

La pornographie juvénile est un ramassis odieux et hurlant d'images de crimes sexuels. D'enfants agressés. D'enfants qui n'auraient dû en aucun cas se retrouver dans de telles positions, dans de telles situations, devant un objectif.

«Regarder Deep Throat, c'est me regarder me faire violer», a un jour dit, en substance, l'actrice principale de ce film porno culte, qui a souvent expliqué qu'elle n'a pas filmé cela librement, mais sous la menace. Regarder de la pornographie juvénile, c'est exactement la même chose. C'est regarder des enfants victimes d'un crime. Et oui, ceux qui le commettent doivent être punis, M. Flanagan, et aucune réflexion tordue théorique sur les libertés civiles et individuelles extrêmes ne devrait nous faire penser autrement.

Il faut penser d'une façon réellement tordue pour dire un truc pareil, et bravo à tous ceux qui l'ont condamné et congédié, de la CBC au Parti conservateur en passant par le Wildrose et l'Université de Calgary.

Oui, je sais, je sais. Flanagan s'est excusé hier. Désolé pour le choix de mots. Pas eu le temps, affirme-t-il, de dire à quel point il trouvait la porno juvénile détestable et condamnable avant que la salle où il était - puis l'opinion publique - ne s'empare du cas.

Faible défense.

Ce n'était pas la première fois que l'individu s'avançait dans cette voie. Le commentaire est venu à la suite d'une question d'un autochtone, qui lui demandait de s'expliquer sur une première affirmation controversée faite en 2009. «Qu'y a-t-il de mal avec la pornographie juvénile, dans la mesure où ce ne sont que des photos?», avait en effet demandé M. Flanagan lors d'une visite et une discussion à l'Université du Manitoba, ajoutant que c'était un sujet de débat intéressant.

Deux fois le même thème et le même angle.

On n'est plus dans l'exemple théorique mal avisé.

Le professeur - qui part à la retraite en juin, a tenu à préciser hier l'Université de Calgary - doit savoir qu'il n'y a rien de théorique quand des enfants sont ainsi maltraités. Rien de théorique.

On ne marche sur aucune frontière floue entre l'acceptable et le non acceptable. On est dans le crime, l'immoralité, la méchanceté, la cruauté. Point barre.

Et comment une personne poussant le libertarisme à de tels extrêmes douteux peut-elle avoir été le chef de cabinet de notre premier ministre? OK, c'était quand il était dans l'opposition. Mais quand même. Flanagan a été conseiller de Harper ensuite jusqu'en 2007.

Inquiétant.

Avec l'internet, Facebook, Instagram, Twitter et compagnie, les consommateurs de porno juvénile et les pédophiles en général s'en donnent à coeur joie.

Ils se baladent dans les comptes des enfants et des ados, s'abonnent. Cliquent sur «j'aime» sous toutes sortes de photos et de commentaires que les jeunes en quête de reconnaissance prennent pour de vraies preuves d'intérêt.

Même les photos innocentes de jeunes en vacances ou avec leurs copains sont reprises par des pervers pour consommation à caractère sexuel, disent les experts du dépistage.

Le problème n'a rien de théorique. Le problème est grave et s'aggrave avec la multiplication des moyens de communication. Ce n'est pas moi qui le dis; voilà presque 20 ans maintenant qu'on le dit.

On est dans un monde d'images, mais pas dans l'invention. Ces photos sont réelles. Ce sont de vrais enfants qui sont victimes des photographes et des consommateurs d'images. Et ce sont de vrais enfants qui paieront peut-être le prix concret de cette déviance nourrie par ces représentations en deux dimensions.

Il n'y a pas de débat intéressant à avoir là-dessus, M. Flanagan.

C'est mal.