Vous rappelez-vous la popularité, il y a quelques années, du fameux régime Montignac?

Un système de restriction alimentaire qui s'abreuvait de toutes sortes de théories sur les index glycémiques et d'autres principes qui avaient comme effet de compliquer grandement l'alimentation et donc, par le fait même, d'amener les gens qui les suivaient à manger moins. Et parfois, donc, à perdre du poids.

Parlez-en aux chefs qui étaient dans les cuisines des restaurants à l'époque, eux s'en souviennent. Ils s'en souviennent parce qu'un des conseils donnés aux adeptes dudit régime était de prétendre à l'allergie lorsqu'un plat ne convenait pas aux règles alimentaires énoncées. Soudainement, les cuisiniers ont ainsi vu apparaître toutes sortes de gens allergiques au riz, au pain, au chocolat au lait...

Lorsqu'on travaille avec le public, on ne peut pas prendre la question des allergies à la légère. Les chefs ont donc dû commencer à faire toutes sortes d'acrobaties pour veiller à ce que la nourriture des clients ne touche pas aux allergènes déclarés. Rapidement, toutefois, ils ont compris le stratagème et se sont retrouvés dans des situations impossibles: respecter une allergie dont il était clair qu'elle n'était pas vraie ou ne pas prendre de risque malgré l'absurdité...

Se déclarer faussement allergique à un aliment est un geste grave. Pas seulement parce que cela oblige ceux qui préparent de la nourriture pour les autres à des tergiversations culinaires inutiles. Mais aussi parce que cela banalise la situation des vrais allergiques. Ceux qui méritent toute l'attention. Et qui n'ont pas besoin du tout, dans la vie, de voir un tas de faux allergiques miner leur crédibilité et diluer leur condition.

Je vous fais ce long laïus parce qu'en ce mois de janvier typiquement rempli de gens au régime amaigrissant, j'entends et je vois partout des gens qui se déclarent allergiques ou intolérants au gluten, sans avoir été diagnostiqués par un médecin.

Ils invoquent toutes sortes de problèmes supposément liés au gluten - ballonnements, douleurs musculaires, fatigue - et parlent des vertus de leur alimentation sans blé, sans orge, sans avoine, sans triticale, sans seigle, les principaux grains contenant cette protéine. (Il y en a même qui colportent des prétentions, non fondées scientifiquement, sur des liens entre le gluten et l'autisme.)

Mais sont-ils allés voir un allergologue pour savoir s'ils souffraient réellement de la maladie céliaque? Ont-ils passé des tests? Et que cherchent-ils réellement?

«Pour plusieurs, c'est devenu une façon de cacher un comportement alimentaire restrictif derrière une justification médicale», affirme Guylaine Guevremont, nutritionniste (déclaration d'intérêt: je la connais bien, on a coécrit deux livres). «Certains se servent de ça surtout pour perdre des kilos ou contrôler leur poids en prétendant que c'est pour autre chose. Ça passe mieux.»

Bref, la mode antigluten, croit-elle, est une autre façon, dans la lignée des régimes Montignac et Atkins et quelques autres, de limiter la consommation de glucides - si on chasse le blé de son alimentation, on mange pas mal moins de pain, de gâteau, de biscuits... - et donc de diminuer l'apport alimentaire en calories et ainsi, peut-être, perdre du poids.

Plutôt que de se demander pourquoi elles mangent plus que leurs besoins caloriques, phénomène causant l'excès de poids, les personnes qui adoptent cette façon de s'alimenter sans réel besoin médical empruntent un chemin clés en main. On fuit le gluten comme on a fui à une autre époque le cholestérol ou les matières grasses. La route est tracée, claire. Et les fabricants de prêt-à-manger s'en régalent, vendant à forts prix des aliments certifiés «sans gluten» comme ils se sont tous mis au bio il y a 10 ans. L'effort a des conséquences positives pour les vrais allergiques, qui voient soudainement leur offre alimentaire généreusement bonifiée. Mais qui doivent rester sur leurs gardes. Car il y a toujours, malheureusement, des limites à la surveillance que peut exercer Santé Canada sur les prétentions «sans gluten» de tout un chacun.

Les prétendus allergiques au gluten portent ombrage à un véritable problème, grave, la maladie céliaque, dont souffre entre 0,5% et 1% de la population. Une maladie qui n'a rien d'une supercherie ou d'une trouvaille de charlatan.

Elle peut causer des inflammations extrêmement douloureuses du système digestif, provoquer perte de poids, crampes abdominales, diarrhées, anémie, ostéoporose, problèmes de croissance chez les enfants, sans parler de dermatites herpétiformes - sortes de cloques sur la peau - qu'on ne souhaite à personne, explique Isabelle Giroux, professeure de nutrition à l'Université d'Ottawa.

Bref, c'est une maladie sérieuse qui ne mérite pas qu'on s'en réclame, sans que cela ait été établi, scientifiquement, par un professionnel de la santé.

Surtout, continue Mme Giroux, qu'éliminer le gluten de son alimentation n'est pas sans conséquence. De la même façon qu'on ne peut pas devenir végétarien ou végétalien sans étudier sérieusement l'impact de ces restrictions sur les apports en protéines, vitamines, minéraux et autres nutriments, il faut voir de près, avec un nutritionniste, comment remplacer les nutriments essentiels contenus dans les aliments à gluten consommés traditionnellement. «Les gens suivent les vagues alimentaires sans trop comprendre leurs conséquences, dit-elle. Souvent, par exemple, le pain et les céréales sont enrichis de fer et de vitamine B. Si l'on coupe ça du jour au lendemain, on le remplace par quoi?»

Parce que, quoi qu'en pensent les chasseurs de calories, il faut manger dans la vie. On en a besoin. Ce n'est pas un mal. C'est un bien.