Plus ça va et plus le festival Montréal en lumière, du moins le volet gourmand, me fait penser au Festival des films du monde. Un événement bien lancé à ses débuts, il y a 14 ans, qui a rapidement pris une vitesse de croisière intéressante et attiré ici des chefs de renommée internationale. Puis, maintenant, comme le Festival des films, il a de la difficulté à traverser les années sans flétrir.

Pendant que les événements gastronomiques du même type se propagent dans d'autres villes partout sur la planète, en déclinant le concept de mille façons, avec événements grand public, démonstrations, conférences, espaces de réflexion et intégration de producteurs en tous genres, notre festival, lui, fait au mieux du surplace, pour ne pas dire qu'il recule.

Cette fois-ci, Buenos Aires et Philadelphie sont à l'honneur. Toutefois, seulement deux des chefs invités en février 2013 sont de réels acteurs de la scène internationale, c'est-à-dire des calibres assez imposants pour attirer des gourmets venus de loin. D'abord, l'Argentin Francis Mallmann - on savait depuis un moment qu'il serait président d'honneur du festival - cuisinera à l'Europea. Vedette de télé dans son pays, il pilote plusieurs restaurants en Amérique du Sud, dont Patagonia Sur, à Buenos Aires. Ensuite, au moment du lancement de la programmation, on a appris hier la venue de Mauro Colagreco, Italo-Argentin qui travaille en France, chef du Mirazur, double étoilé Michelin et 24e sur la liste des 50 meilleurs restaurants du monde publiée par le magazine britannique Restaurant. Un jeune qui monte, récolte les honneurs et fait beaucoup parler de lui.

Mis à part ces deux chefs importants, la liste des invités, bien que longue, est remplie de noms peut-être talentueux, mais dont on connaît encore peu le travail.

De plus, aucune région productrice de vins n'est conviée, même si en Argentine, on en fait, du vin.

La ville de Dijon, qui devait être la vedette du festival, a apparemment attendu le début du mois de juillet pour faire savoir que cela ne serait pas possible, ce qui a forcé l'élaboration d'un plan B sur les chapeaux de roues.

Mais est-ce suffisant pour expliquer qu'on trouve si peu de personnalités assez connues internationalement au programme pour attirer les foules de France, d'Asie ou du fin fond gourmand de la Californie?

Pour être émoustillé ainsi, quand on est le genre de gastronome qui voyage et qui donne rendez-vous à ses congénères assez souvent dans certaines villes improbables - mettons Lima ou Stockholm - pour les transformer en haut lieu de tourisme gourmand, il faut aller regarder ailleurs.

Il faut jeter un coup d'oeil, par exemple, à la programmation de Mistura à Lima, à celle de Madrid Fusion ou de Gastronomika à San Sebastian, de Mad à Copenhague, de Star Chefs à New York ou du Salone del Gusto à Turin, pour ne nommer que quelques évidences.

Montréal en lumière n'a pas toujours été ainsi. Quand Paris, la Catalogne, New York et même l'Australie ont été mis en valeur, il y a plusieurs années, on y collectionnait les étoiles Michelin et les mentions internationales. La première année du festival, Paul Bocuse, légende vivante française du monde de la gastronomie, a été son président d'honneur. Pas rien.

Que se passe-t-il?

Il se passe des tas de choses, des gens qui changent, des objectifs qui se transforment. Il se passe qu'on semble avoir tout simplement accepté que l'argent soit le premier facteur quand vient le temps de déterminer de quoi aura l'air l'événement. D'abord, on trouve un commanditaire (un pays, une entreprise, une région), et ensuite on essaie de bâtir un événement qui se tient.

On me dit aussi que le festival fonctionne très bien auprès du public d'ici et que, dans la mesure où on remplit les restaurants en ville, à une période hivernale normalement creuse, on est bien content de ce résultat.

Pourquoi changer, alors?

Le fait que Montréal n'ait plus d'événement gastronomique de réel calibre international ne semble faire paniquer personne.

Et pour regarder l'avenir, insuffler fraîcheur, vent nouveau, et déterminer notamment comment on célébrera le 15e anniversaire l'an prochain, on a épaulé l'équipe en place de Jean-Pierre Curtat, chef au Casino de Montréal, de Jean-Paul Grappe, cuisinier depuis plus de 50 ans et professeur à la retraite de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ), et d'un comité formé notamment de Jérome Ferrer de l'Europea et de Michel Busch du Beaver Club. Oh, et il y a une femme aussi, Catherine Bélanger de Pullman et puis Stélio Perombelon de Sinclair.

Ce festival a besoin d'une bouffée d'air frais et d'être tourné sens dessus dessous. Si Montréal veut réellement devenir une destination gastronomique internationale, si elle veut attirer des touristes de loin, comme d'autres villes qui n'étaient pas des lieux de pèlerinage gourmand au départ - par exemple, Barcelone, San Sebastian ou Copenhague - ont réussi à le faire, il lui faut trouver une façon d'attirer des foules d'influenceurs. Il faut penser au-delà du remplissage de salles par les locaux et les touristes de proximité.

Il faut donc que le festival aille chercher des idées, de l'aide de jeunes chefs voyageurs, de spécialistes peut-être venus eux-mêmes de loin. Des gens qui sauront sentir l'esprit éclaté qui vire actuellement à l'envers la cuisine mondiale, des Flandres iconoclastes aux folles campagnes suédoises, en passant par les cuisines-laboratoires espagnoles, obstinément à l'affût.

Il faut recommencer à dépister pour Montréal cet équilibre de vedettes d'avant-garde, de vétérans respectés et de soldats allumés qui font qu'un festival a du panache et fait parler de lui outre-mer - et plus loin encore.

Montréal mérite cela.