Si le maire de Saguenay, Jean Tremblay, avait voulu rallier toutes sortes d'anciens adversaires derrière la candidate péquiste dans Trois-Rivières, Djemila Benhabib, il aurait difficilement pu être aussi efficace.

Hier, dans les réseaux sociaux, même les pourfendeurs habituels des positions pro-laïcité de l'écrivaine s'entendaient sur une chose: les propos que l'élu saguenéen a tenus contre elle à l'émission de Paul Arcand étaient honteux.

Appelé à commenter les positions de la candidate sur la laïcité dans les institutions publiques, qu'elle estime nécessaire dans le cadre d'une démarche cohérente contre les intégrismes, le maire, fameux pour ses prières au conseil municipal, a en effet répondu: «Ce qui me choque, c'est de voir que nous, les mous Canadiens français, on va se faire dicter comment se comporter et respecter notre culture par une personne qui arrive d'Algérie. On n'est même pas capable de prononcer son nom.»

Il n'en fallait pas plus pour que, à 14h05, Françoise David, la co-chef de Québec solidaire, qui diverge pourtant totalement d'opinion avec Mme Benhabib dans plusieurs dossiers, exprime sa stupéfaction devant la «grossièreté et l'ignorance» des commentaires de Jean Tremblay.

Au fait, avez-vous écouté cette entrevue?

Je crois sincèrement que cela deviendra une pièce d'anthologie. Une sorte de dérapage désolant imbibé de xénophobie qui nous amène à dériver tranquillement vers un constat d'inaptitude.

Normalement, on devrait se rendre compte tout de suite des lacunes de l'interlocuteur lorsqu'on l'entend avouer d'entrée de jeu qu'il ne sait pas comment prononcer le nom de la candidate Benhabib - qui se prononce... Benhabib! -, mais on continue de l'écouter pour comprendre que ce maire n'a absolument pas un microgramme d'argument pour défendre son point de vue. N'a pas la moindre idée de qui est la personne dont il parle. Et n'a rien d'autre à exprimer que son aversion à l'idée qu'une candidate d'origine algérienne ait une pensée sur sa société.

J'avoue que j'ai ri, par moments, tellement le dialogue avec Arcand est absurde. Si le groupe d'humoristes RBO avait écrit le scénario, il n'aurait pas mieux fait: après Mme Brossard de Brossard, M. Tremblay de Saguenay. Sauf qu'on rit de RBO parce que son talent pour exposer le ridicule soulage l'esprit tout en grinçant. Ici, on écoute, on ricane et on finit par se sentir mal: ce maire et ses idées existent vraiment.

Il y a quelque chose qui ne va pas du tout dans cette campagne électorale. Elle va dans tous les sens. On dirait qu'on a délaissé les modèles habituels de discussion structurée à deux ou trois interlocuteurs pour un jeu complexe où on ne sait plus de quel côté la bestiole cible va émerger.

On a délaissé le linéaire ping-pong Atari première génération pour une sorte de Fruit Ninja où une pluie de melons, de fraises et de bananes - et de peaux de banane, devrait-on dire - tombe en se démultipliant pour qu'on essaie de trancher d'un coup de sabre tous les fruits en même temps. C'est étourdissant.

Et la polarisation que cela engendre est troublante.

Un jour on soulève des doutes sur la présence d'une femme, Pauline Marois, à la tête du Parti québécois. Un autre jour, on s'en prend aux jeunes - le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, cherchant apparemment à ramer du même côté que le chef libéral Jean Charest l'a fait durant sa gestion de la crise étudiante, soit chez ceux qui croient qu'il faut brasser la relève plutôt qu'écouter ses doléances.

Puis on est allé patauger dans les questions des habitudes de vie, partageant ainsi le monde entre ceux qui en ont de bonnes et les autres.

Voilà maintenant qu'on plonge sur le terrain miné de l'immigration, le maire Tremblay de Saguenay ouvrant la porte aux commentaires aussi désolants que les siens pendant qu'à Montréal les réseaux sociaux hurlent au racisme et à la bêtise...

On a l'impression de nager en pleine wedge politics, cette approche popularisée par Karl Rove, grand stratège politique de George Bush, qui consiste, grosso modo, à affaiblir l'adversaire en segmentant la population avec des thèmes polarisants. Sauf qu'ici, à peu près tout le monde joue le jeu dans la plus grande des cacophonies, chacun cherchant à torpiller les autres avec des enjeux tranchants et non pas des fruits, mais du fast food pour cycles de nouvelles déchaînés...

On s'y perd. Tout le monde se sent écorché.

Beau programme.