Au Québec, dit-on, «il y a peut-être des gens qui ne sont pas prêts à avoir une femme comme premier ministre».

Ce sont les mots utilisés hier par le candidat péquiste dans Sherbrooke, Serge Cardin, dans le cadre d'une entrevue accordée à Louis Lacroix de la station de radio 98,5 FM.

Le candidat trouve ce fait fort dommage, a-t-il tenu à ajouter. Il le déplore. N'est pas d'accord. Mais voilà, il croit qu'il y a des gens, pas comme lui, donc, qui ont de la difficulté à voir Pauline Marois, leader du Parti québécois, à la tête de la province.

Ma question, que j'aurais aussi pu poser à son collègue le candidat et député péquiste sortant Claude Pinard, quand il a fait sensiblement les mêmes commentaires l'hiver dernier: pouvez-vous me dire quelle est l'utilité de dire une chose pareille?

Vous essayez d'exprimer quoi, exactement?

Vous avez une terrible envie de dire aux Québécois qu'ils ne sont pas assez égalitaires? Alors pourquoi s'en tenir à ces simples commentaires au hasard d'une entrevue?

Pourquoi ne pas dénoncer les iniquités en emploi, l'absence de femmes dans les cercles de pouvoir, les difficultés que rencontrent les femmes quand elles se lancent en politique, les injustices de la conciliation travail-famille...

À la place, vous dites simplement l'équivalent de «il y en a qui sont drôlement attardés, vous ne trouvez pas, mais pas moi, évidemment...». Et puis vous changez de sujet.

Pourquoi ai-je l'impression que le but de vos interventions est plus ambigu?

«Il y a peut-être des gens qui ne sont pas prêts à avoir une femme comme premier ministre...», a dit M. Cardin hier.

«Premier» ministre? Pourquoi ne pas avoir féminisé cet adjectif pourtant hautement «féminisable» ?

Et puis qui a de la difficulté, au juste, avec l'idée de voir une femme prendre la tête du Québec?

Dans les sondages, les partisans de Pauline Marois sont divisés également entre hommes et femmes.

Est-ce que les porteurs de doutes vis-à-vis des femmes en politique sont répartis parfaitement également dans la population? Ne devrait-il pas plutôt y avoir un déséquilibre, avec les femmes d'un côté plus en faveur de Mme Marois et les hommes de l'autre, charriant le boulet de quelques cohortes machos, moins enclines à l'appuyer?

Le candidat péquiste n'est pas le seul à dire des choses surprenantes.

Il y a trois semaines, François Legault, chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), a écrit sur le réseau Twitter: «Les filles attachent moins d'importance au salaire que les garçons.» C'est ainsi qu'il explique pourquoi elles acceptent, elles, les bas salaires du monde de l'enseignement.

Le fait que cette sphère offre aux femmes des horaires fixes, de longues vacances et des conditions de travail généralement favorables à la famille n'a pas fait partie alors de la discussion qui portait sur le programme de la CAQ qui veut ré-attirer des hommes en enseignement en les payant plus.

Pourquoi ai-je plutôt l'impression que lorsqu'on vivra dans une société où les pères autant que les mères auront besoin de se préoccuper de leurs horaires et de leurs disponibilités pour leurs enfants, là, on verra des hommes revenir en courant à l'enseignement? Probablement que c'est parce que j'en connais, de ces pères de famille qui ont fait exactement cette démarche.

Au moins, M. Legault n'a pas insinué qu'une partie de la population du Québec était en retard sur la modernité, comme l'ont fait les candidats du Parti québécois.

Mais que penser de son analyse à lui? Croit-il vraiment que les femmes, qui votent, qui travaillent, qui étudient, qui gèrent le domicile familial, qui veillent sur une bonne partie de la consommation des ménages, ne veulent pas gagner plus d'argent?

À lui aussi j'aurais envie de demander: que cherchiez-vous à exprimer, exactement?

La semaine dernière, l'ancien vice-président américain Dick Cheney a déclaré que le choix de Sarah Palin comme colistière pour John McCain avait été une erreur. Pas assez expérimentée, pas assez prête à devenir présidente, a-t-il expliqué, en enjoignant au candidat républicain, Mitt Romney, de ne pas reproduire la même erreur.

Pourquoi ai-je l'impression, vu d'ici, qu'il disait surtout au candidat républicain de ne pas sortir une femme de son chapeau lui aussi pour tenter d'aller chercher l'appui de tout ce pan de la population américaine?

Car durant la présidentielle américaine, le vote des femmes est crucial. Ici, si on les courtise particulièrement, ces femmes, soccer moms, «Stéphanie» et autres électrices-clés, c'est parce qu'elles sont plus indécises, donc plus ouvertes au marketing des partis. Là-bas, c'est aussi parce que leur taux de participation électorale est plus élevé (plus de 60% contre 54% chez les hommes en 2008).

M. Cheney, que vouliez-vous dire, exactement?

Pourquoi ai-je cette impression qu'en 2012, du Québec à Washington, le monde politique s'ouvre et évolue vers l'égalité mais ne peut s'empêcher d'avoir, ici et là, de gros hoquets montrant au grand jour son incroyable force d'inertie?