Encore une douzaine de personnes mortes. Encore des dizaines de blessés, plus que jamais en fait, aux États-Unis. Encore un tireur seul qui entre dans un lieu public rempli de gens absolument innocents qui ne méritent rien du cauchemar qu'on leur inflige. Encore des centaines de proches affligés. Encore des larmes. Encore des armes à feu. Encore une tristesse infinie qui nous enveloppe froidement. Encore cette peur qui nous attaque comme un brouillard lancinant, mince mais glacé.

Qu'est-ce qui nous dit que la prochaine fois ce ne sera pas chez moi, à mon cinéma, à mon école, à mon camp de vacances, à mon centre commercial? On n'a même pas encore marqué le premier anniversaire de la tuerie norvégienne et voilà que l'horreur recommence.

Combien de fois encore?

Hier, le président américain Barack Obama a dit qu'on ne comprendrait peut-être jamais pourquoi des humains tiennent à terroriser d'autres humains ainsi. Aussi cruellement. Aussi violemment. Peut-être qu'on ne le pourra effectivement jamais. Mais peut-on se permettre de ne pas essayer?

Il y a mille pistes à explorer, étudier, interroger, à soumettre à nos intellectuels et chercheurs, pour essayer de comprendre et prévenir la récurrence de ces horreurs. Et il n'y pas seulement celle du contrôle des armes et du contrôle des accès aux lieux publics, même si ce sont des chemins importants. Je demeure convaincue, profondément, que moins il y a d'armes à feu en circulation, que plus l'achat légal est réservé aux gens sérieux, moins il y a de risques pour la sécurité publique. Je demeure convaincue aussi qu'il faut savoir où sont les armes dans nos sociétés. Ce ne sont pas des objets anodins, certainement pas plus que les voitures.

Cela dit, parlons d'autres pistes, comme celle de la science, par exemple. Pourquoi certains cerveaux perdent-ils à ce point leurs réflexes moraux? Pourquoi cette incapacité de contrôler des pulsions barbares? Il y a la piste de la sécurité, évidemment. Doit-on commencer à mieux contrôler les accès aux lieux publics? Doit-on fouiller les gens allant au cinéma, au théâtre, dans des foires? Peut-être. C'est le prix à payer pour une société où les fusils sont aussi banalisés. L'Amérique doit faire des choix. Et nous, ici, devons constater que la libéralisation des armes à feu a des conséquences.

Une autre piste: celle de l'aide psychologique, de la surveillance des proches, celle qui englobe tout ce qui pourrait nous aider à identifier les tueurs. Les recherches montrent que souvent ils envoient des signaux d'alarme, annoncent de façon trouble, mais néanmoins réelle, ce qu'ils sont sur le point de commettre. On se rappelle le tueur de Virginia Tech, par exemple, qui faisait peur à son professeur de création littéraire avec des écrits d'une violence terrifiante.

Comment voir ces signes?

Et ce que les recherches montrent aussi, c'est que bien des gens pourraient entendre ces messages de détresse d'assassins en devenir, mais refusent de le faire, situation extrêmement bien illustrée dans le roman et le film Il faut qu'on parle de Kevin. Ce déni omniprésent dans nos sociétés individualistes où on a non seulement banalisé l'indifférence, mais où on l'a rendue moralement correcte, il faut en parler aussi. Parfois, «se mêler des affaires des autres», c'est veiller à la survie de tous.

Autre piste de réflexion: la violence dans les médias, les films, les jeux vidéo. Je vous entends déjà tous vous énerver, hurler contre la censure, brandir le fameux argument du «il y a des millions de gens qui jouent à des jeux vidéo violents et qui ne sont pas des assassins».

Mais il y a aussi des millions et des millions de gens qui boivent de l'alcool sans tuer personne et cela ne nous empêche pas de réglementer et encadrer sérieusement sa consommation. Peut-on en parler? Peut-être sommes-nous allés trop loin sur le chemin de la représentation de la violence, sans réfléchir suffisamment à son impact.

Et puis arrêtons de nous leurrer, ce n'est pas un hasard si le tueur d'Aurora a choisi la première de Batman et non de Ice Age 4 pour commettre son acte. Il est arrivé dans la salle avec ses armes alors qu'on tirait à l'écran. Certains témoins ont rapporté avoir d'abord été rendus confus par la combinaison de la violence du film avec celle de la réalité, perdant pied sur la frontière entre le réel et la fiction. Certains médias américains ont aussi rapporté hier que le tireur avait les cheveux rouges, teints comme le personnage du Joker dans le premier film de la série.

Évidemment, personne ne veut que les autorités commencent à se mêler de contenu artistique. Mais nous, la société civile, les consommateurs, pouvons-nous commencer à nous poser des questions à cet égard? Parce que fusillade, après fusillade, après fusillade, c'est trop. C'est encore et encore trop.