Il n'y a pas si longtemps, 10 mois pour être précis, la mairie me répétait, pour un reportage sur la cuisine de rue, que Montréal n'avait pas besoin de ça. «On estime que l'offre est suffisante», m'avait expliqué une porte-parole. Assez de restaurants, assez de casse-croûte.

Heureusement, il n'y a que les fous qui ne changent pas d'idée.

Hier, par la voix du vice-président du comité exécutif, Richard Deschamps, la Ville a fait savoir qu'elle lançait une discussion publique sur le sujet. Le but: voir si le règlement interdisant la vente alimentaire dans les rues de la métropole, qui date des années 40, ne devrait pas être mis à jour.

M. Deschamps a même prononcé les mots «préjugé favorable» en faveur des cantines en plein air.

Wow!

On en a fait, du chemin, en si peu de temps.

Est-ce que l'ombre de Vision Montréal, parti de Louise Harel, qui milite activement pour une libéralisation de la réglementation, y serait pour quelque chose?

Je dirai simplement que le parti fait circuler depuis une semaine une motion, qui doit être déposée lundi au conseil municipal, demandant un «projet de règlement-cadre pour autoriser la vente, la préparation et la consommation de nourriture et de boisson sur le domaine public à Montréal».

Le maire pouvait-il faire autrement que de se réveiller? Finalement?

Sans oublier que chez Projet Montréal, le maire de Rosemont-La Petite-Patrie, François Croteau, travaille lui aussi sur le dossier...

Cela dit, même s'il est dommage que la mairie semble attendre les idées des autres pour bouger, cette brèche à l'immobilisme est une bonne nouvelle. «Je suis super contente qu'il y ait une ouverture», a dit Gaëlle Cerf, une des copilotes de Grumman78, connu pour son camion à tacos. «Au moins, il y a une tentative de discussion.»

Au moins, pourrait-on ajouter, la mairie fait finalement autre chose que répéter les messages-clés antichangement de l'Association des restaurateurs du Québec (ARQ), dont le conservatisme est indéfendable pour quiconque s'intéressant au développement urbain moderne.

La cuisine de rue n'est pas une lubie. Ce n'est pas un trip élitiste de hipster en manque de dumplings au foie gras. La permettre, ce n'est pas ouvrir la Ville à une invasion de vendeurs de poutine sur roues, dans des rues déjà trop sales.

La cuisine de rue, c'est un outil d'acupuncture urbaine.

C'est une façon de transformer le tissu urbain, la vie de la ville, à coûts minimes. C'est une façon de métamorphoser la tristesse du bitume en pique-nique sympathique.

À Portland, en Oregon, une des villes d'Amérique du Nord qui ont ouvert leurs portes à la cuisine de rue il y a plusieurs années, on a converti quelques parkings du centre-ville en marchés alimentaires à ciel ouvert où les stands paient leur loyer. Les anciens quartiers 200% résidentiels où il fallait prendre obligatoirement sa voiture pour aller au restaurant ou à l'épicerie? Stationnements et terrains vagues y sont devenus des îlots alimentaires. La Ville a installé l'eau, l'électricité. Et maintenant, les familles y vont à pied ou à vélo pour manger sous les étoiles en rencontrant leurs voisins. Pensez à la joie collective de voisiner à la casserole, mais version gourmande et silencieuse.

Y fait-on, selon vous, de la concurrence déloyale aux restaurants?

À Montréal, certains organismes étant plus rapides que la mairie, plusieurs projets contournant légalement les interdictions municipales sont déjà en cours. La Régie des installations olympiques, par exemple, organise pendant tout l'été un événement «premiers vendredis du mois» où on ouvre l'esplanade aux cantines ambulantes. Il y a longtemps que ces espaces bétonnés trop longtemps mal aimés avaient vu autant de sourires. Même chose pour le parc Émilie-Gamelin, qui attend aussi la visite de camions de nourriture le midi. L'ARQ trouve-t-elle que l'atmosphère y est légère et douce et n'a aucunement besoin d'un peu d'air frais et de saveurs nouvelles?

Le festival Juste pour rire, précurseur l'an dernier, fera encore cette année une belle place à la restauration de rue créative, alliant tacos réinventés, sandwichs fermiers et crêpes artisanales. Est-ce que l'ARQ préférait l'époque où ce type d'événement se limitait aux chips et hot-dogs? Même chose pour les Fruixi, ces colporteurs de primeurs qui se baladent dans des quartiers où avoir accès aux fruits et légumes est autrement un vrai défi.

Il y a aussi maintenant trois ans que le Vieux-Port laisse un espace au Müvbox, cette cantine contenue dans un conteneur, qui sert notamment du homard des Îles. Là encore, la cuisine de rue décoince le béton, ouvre le front de fleuve à une activité universelle, manger. Est-ce moins important que défendre les restaurateurs du Vieux-Montréal?

Et que préfèrent les visiteurs de l'extérieur, selon vous? Des attrape-touristes surprotégés par leur association ou de la guédille au homard en regardant les bateaux passer dans les écluses?

Il était temps que la Ville nous propose un nouveau menu.