Si un écolier fréquentant la même institution que mes enfants était agressé sexuellement dans un véhicule de la STM, près de l'école, j'aimerais le savoir.

Si l'individu était ensuite repéré devant l'école, une de ses victimes l'ayant reconnu, j'aimerais le savoir vite.

J'aimerais le savoir pour pouvoir en parler à mes enfants avant que les rumeurs ne leur fassent peur. Pour leur donner l'heure juste et leur expliquer comment se protéger.

J'aimerais le savoir parce que des pédophiles, ça existe. Ce n'est pas une vue de l'esprit de quelques mères hystériques. Ils sont heureusement rares. Mais éviter d'affronter le problème n'aide rien ni personne.

Je vous parle de tout ça parce qu'au cours de l'hiver, une situation semblable s'est produite dans la métropole, au Collège de Montréal.

Un après-midi de décembre, après l'école, un jeune de 13 ans attend le bus, le 24, rue Sherbrooke, près d'Atwater. Arrive un homme qui prétend le connaître, veut l'emmener au cinéma. Le garçon le repousse et prend le bus, dans lequel l'homme le suit et éventuellement le coince, le touche et essaie de l'embrasser. L'adolescent réussit à s'enfuir et rentre chez lui en larmes. Il raconte tout à ses parents, qui appellent la police et alertent l'école.

«Pour moi, il était clair que l'école devait être informée. Pour mon fils qui venait de vivre quelque chose de très grave. Mais aussi pour que les autres parents soient au courant», explique la mère.

L'école préfère ne pas en parler aux parents.

«On a choisi l'approche élève», explique le directeur, Jacques Giguère.

On «intervient» donc dans les classes pour «parler» aux jeunes. A-t-on utilisé le mot « pédophile « et a-t-on précisé qu'un crime avait été commis dans l'autobus passant devant l'école? Non.

Selon le directeur, l'école a choisi une approche moins précise. «On ne pensait pas opportun d'ameuter les jeunes. On n'a pas fait ce choix-là.»

Le temps passe, nous voilà rendus le 16 mai, et la jeune victime aperçoit de nouveau son agresseur devant l'école.

Il en parle à sa mère, qui alerte la police et le collège par courriel: «Je vous envoie une description de cet homme. Je crois que vous devriez avertir les élèves et les parents qu'il y a un prédateur dans la région et on devrait rappeler aux enfants ce qu'il faut faire s'ils sont approchés par un tel étranger... L'homme fait environ six pieds, il a une barbe et une moustache grises et des cheveux tirés en queue de cheval... Sa moustache est jaunie... Il portait un trench-coat noir long, et un pantalon rouge et violet qui ressemblait à un pyjama...»

Les jours passent, et toujours pas de courriel de l'école aux parents.

Le 22 mai, la mère réécrit. «Bonjour, je viens de parler au détective du SPVM [...] qui fait une enquête au sujet de l'homme qui a agressé [...]. Il suggère que les parents du collège soient avisés. J'attends toujours votre plan concernant cette situation.»

Puis, le lendemain, les événements prennent une tournure inattendue.

La mère aperçoit quelqu'un devant la station de métro Vendôme. Pantalon qui a l'air d'un pyjama. Queue de cheval, sac à dos, barbe énorme et moustache jaunie... Elle est certaine que c'est lui. Elle suit l'individu et appelle la police, qui arrête l'homme, un récidiviste que la jeune victime identifie sans hésiter.

Le surlendemain, un courriel du collège aux parents des élèves leur apprend qu'un «individu louche» rôdait autour du collège, mais qu'heureusement, il a été arrêté. La lettre invite tout le monde à la prudence.

Lorsque ce message est envoyé, Amir Pourasadi, 56 ans, est déjà entre les mains de la police. Il est toujours détenu. Une évaluation psychiatrique déterminera s'il est apte à son procès. Son dossier criminel, qui remonte à 1992, inclut des voies de fait, des voies de fait armées, des menaces de mort, non-respect de conditions, etc. Il fait aussi l'objet de deux enquêtes pour agressions dans le bus 55 contre des filles.

Hier, après mon entrevue avec M. Giguère, un message a été envoyé aux parents, expliquant qu'un écolier a été victime d'agression sexuelle et qu'un suspect a été arrêté. Cinq mois après le crime, les mots sont finalement écrits en toutes lettres.

Selon le directeur, la discrétion dont l'école a fait preuve s'explique surtout par une volonté de respecter le caractère «délicat» du dossier. «Même les parents sont mitigés sur la nécessité d'informer», dit-il.

Mitigés?

Comme le répète le directeur, l'école ne peut pas surveiller tout le quartier ni tous les bus. Il n'y a qu'une façon de prévenir: parler aux enfants pour qu'ils sachent comment réagir. Et lever les tabous.

Pourquoi, là comme si souvent dans ces histoires, sent-on une crainte de dire les mots? Pourquoi faut-il des arrestations pour admettre publiquement l'existence d'un crime? Est-ce de la gêne? De la peur? De la prudence exagérée? Du déni?

Pourquoi, si souvent, ce terrible ingrédient: le silence?

Pourquoi, si rarement, ce seul début de solution: la transparence?

Une leçon à réviser pendant l'été pour toutes les écoles.