«Est-ce que ça me dérange, les manifs? Mais pas du tout!» lance la conférencière Claire Diaz Ortiz, responsable de l'innovation sociale chez Twitter. «J'ai grandi à Berkeley!»

Berkeley en Californie, vous l'aurez compris, berceau de la contestation américaine dans les années 60, ville aux mille contre-révolutions...

Je suis à la rencontre C2-MTL sur la créativité et le commerce et c'est moi qui tiens à échanger sur Montréal et sur le mouvement étudiant avec quelques participants, parce que contrairement à ce qui se discute dans à peu près tous les autres salons de Montréal, le sujet du jour n'y est pas du tout la fronde du moment. Arianna Huffington du Huffington Post, Michael Eisner ex-PDG de Walt Disney, le cinéaste Francis Ford Coppola et autres célébrités viennent de défiler au micro ou s'apprêtent à le faire pour parler plutôt de comment ils ont su traduire la créativité en occasion d'affaires. Immense rencontre de grands esprits aux mille idées lancée par la firme de pub Sid Lee, l'événement a lieu dans la métropole depuis lundi.

Si la liste d'invités est spectaculaire, l'atmosphère est tout aussi relax. On est dans Griffintown et le soleil brille fort aux abords de la New City Gas, immense immeuble historique nouvellement rénové. On écoute de la musique techno à tue-tête qui va très bien avec tout le reste des installations hyper éclatées - lounge de fauteuils-sacs Fat Boy, kiosques de cuisine de rue, sas de «déprogrammation de l'esprit» dès l'arrivée. Plus tard, il y aura un spectacle de Moby avec Moment Factory. Rien à voir avec les tintamarres de marmites qui ponctuent maintenant toutes les soirées de la ville.

Dans les tentes et les allées des installations où sont réunis les participants, on se sent loin de la rue. On n'en parle ni en bien, ni en mal, ni en célébration ni en inquiétude. «D'ailleurs ça m'étonne, parce qu'il y en a beaucoup d'énergie créative dans les rues de Montréal en ce moment, non?» lance la galeriste et artiste Jeanie Riddle, Montréalaise qui assiste aux conférences depuis le début. «On devrait faire des liens.»

Pour les locaux, c'est un sujet à éviter, insoluble. Pour les conférenciers et participants venus de loin, le thème est nouveau. Presque intrigant. «Je pense aller les voir», me dit l'un d'eux, «par curiosité».

Chose certaine, j'ai beau chercher, je ne croise aucun visiteur inquiet, aucun invité horrifié. Au contraire. «Les manifestations? Ça fait partie de l'expression de la vie», lance Olajide Williams, neurologue au centre médical de l'Université Columbia à New York, qui est là pour parler de son programme inédit de sensibilisation aux maladies cérébrales pour les jeunes basé sur le hip-hop. «Moi en tout cas ça ne me dérange pas du tout. Voyons! Vous devriez voir ce qu'on voit en Afrique!» ajoute Tal Dehtiar, dont la compagnie Oliberté fabrique des chaussures dans le continent noir.

«Ça montre bien que la ville est en vie, que les gens ici s'intéressent aux enjeux politiques, qu'ils veulent s'exprimer. Entre ça, et cette conférence et les artistes, je sens une vibration dans cette ville», poursuit Johan Offermans, un directeur des TI chez Johnson&Johnson travaillant en Suisse. «Par contre, l'autre impression que je garde, c'est qu'il y a vraiment beaucoup de policiers. Ça me semble un peu exagéré, non?»

Pablo Emilio Colabella est designer graphique. Il vient de Buenos Aires, en Argentine. Avec Matias Figliozzi, un compatriote venu participer à C2-MTL mais aussi à la rencontre des villes créatives de l'UNESCO, un autre événement qui avait aussi lieu cette semaine à Montréal, ils rigolent quand je leur demande s'ils sont affectés par les manifs. Ils m'expliquent qu'ils ont vu pas mal pire durant les soubresauts économiques qu'a connus leur pays. «Pour nous, ces manifestations, ce n'est vraiment pas grave! C'est rien du tout!»

En fait, ce sont plus les participants québécois qui semblent s'inquiéter des remous actuels. «Il faudrait que les étudiants viennent ici voir que l'argent ne pousse pas dans les arbres», me dit l'un d'eux. «Je crains beaucoup pour l'image de la ville», me dit une autre.

«En fait, la vraie clé, dans l'avenir, poursuit un jeune entrepreneur, ce sera de trouver une façon de donner un envol à toute cette énergie qui est dans la rue, chez les jeunes, pour faire autre chose que contester toujours. On en a besoin pour créer, pour construire des choses.»