Je suis installée dans ma voiture pour écrire, quelque part sur le boulevard René-Lévesque. Je viens de quitter des manifestants plutôt joyeux. «C'est pas une loi spéciale qui va nous faire plier», criaient-ils en choeur peu avant que l'heure de tombée ne m'appelle.

Pendant que je tape, les voitures de police passent tous gyrophares et sirènes allumés dans la rue à côté.

La situation a-t-elle déjà dégénéré?

En arrivant à la manifestation, quelques minutes après la fin du discours du premier ministre Jean Charest, je croyais trouver des manifestants démoralisés, ou la gorge prise par une colère triste comme leurs leaders en point de presse.

Pas du tout.

Ils faisaient encore de la musique, réinventaient leurs phrases à scander. «Charest, si tu savais, ta loi où on s'la met» ... «Courchesne, ouhhhhhh» Il y en avait plusieurs en sous-vêtements ou les seins et le ventre à l'air, reprenant le concept de manif à poil lancé il y a quelques semaines.

«Vous n'êtes pas démoralisés», ai-je demandé à une enseignante de cégep qui marchait avec sa famille. «Oui, on l'est totalement», m'a-t-elle répondu.

Démoralisée fâchée.

Plus loin, des jeunes faisaient des blagues sur le fait qu'ils avaient oublié leurs briques à la maison et des policiers prêts pour le pire montaient la garde devant des vitrines.

La routine quoi, avec une nouvelle pelure d'écoeurement.

En regardant tout ça, je ne peux m'empêcher de me dire que si un envoyé spécial venu de Russie ou de Chine arrivait ici ce soir, convaincu que cette loi spéciale méritait bien un reportage sur un Québec pris dans une vaste dérive de violence, il serait bien déçu. À part peut-être pour les filles toutes nues...

Bien sûr, il y a eu la casse dans la rue, les confrontations dans les écoles. Mais il y a eu aussi, jour après jour, après jour, des milliers de gens plus ou moins habillés, plus ou moins déguisés, plus ou moins musiciens, qui ont défilé comme ça, en marchant, en occupant tout simplement l'espace public depuis trois mois.

Je ne sais pas vous, mais moi je n'ai rien entendu, ni dans le discours de démission de Line Beauchamp ni dans le discours de la nouvelle ministre de l'Éducation Michelle Courchesne ni dans le discours de M. Charest hier qui montrait un certain respect pour ça. Une reconnaissance. Un bout de phrase pour dire «on n'est pas d'accord, mais on comprend que vous aviez quelque chose d'important à dire et on vous a entendus».

Pendant que j'écris, je jette un oeil sur Twitter pour être certaine de ne rien manquer et les commentaires ne dérougissent pas. On peine à lire tellement le flot est constant. Mais la colère est omniprésente. Les mots «libéraux corrompus» reviennent souvent. Et aussi le fait que la ministre Courchesne, dans sa présentation, n'ait pas mentionné les plus de 300 000 étudiants qui ont voté contre l'entente du 6 mai, cherchant plutôt à peindre un portrait du mouvement de contestation comme marginal. La citation de Léo Bureau-Blouin sur les étudiants acteurs malgré eux d'une vaste pièce de théâtre politique revient souvent elle aussi.

Le gouvernement Charest a annoncé hier soir qu'un projet de loi sera déposé à l'Assemblée nationale prévoyant la suspension du trimestre d'hiver dans les collèges et facultés touchés par la grève étudiante. Le projet de loi visera de plus à garantir l'accès aux établissements pour les étudiants qui voudront suivre leurs cours en août.

Passé minuit, on commence à lire sur la confrontation dans les rues avec les policiers, sur les vitrines fracassées...

Et, sur ce réseau social comme dans la manif, un leitmotiv: malgré la colère et la tristesse, il n'est pas question de laisser tomber.

Allez vous faire des appels au calme, a-t-on demandé à Gabriel Dubois-Nadeau après l'annonce à Québec. Impossible a-t-il répliqué. «On est impuissant face à l'arrogance du gouvernement.»

On n'est pas sortis de l'auberge.