Oh que Taras Grescoe n'était pas fier de moi quand je lui ai avoué que, malgré la proximité de deux stations de métro, à la maison et au travail, je prends trop souvent la voiture pour aller travailler.

«Je suis certain que c'est plus long en voiture privée qu'en métro», a insisté celui qui vient de publier Straphanger, livre dont le sous-titre est «Sauvons nos villes et nous-mêmes de la voiture».

«Vous savez que, chaque fois, vous faites un choix qui influence le développement de la ville...»

Je suis repartie de l'entrevue, qui se tenait à deux pas de la station Outremont, encore plus découragée qu'après avoir lu son livre.

Pas découragée du livre ni de Montréal, ni même de la Société de transport ou du modèle de développement urbain de l'Amérique du Nord d'après-guerre. Découragée de moi-même et de ma tonne de piètres excuses - trains pas assez fréquents, bus trop lents, pas pratique quand on a des enfants, système de paiement des passages irritant au max - pour ne pas sauter dans un wagon alors que ce serait facile.

Parce qu'il a raison. J'aimerais que ma ville ait un meilleur système de transports en commun et moins d'autoroutes et d'échangeurs en décrépitude et plus de vert et moins de gris sale. Et la seule chose à faire pour que cela se passe serait de laisser ma carte OPUS occasionnelle pour m'acheter une vraie carte et devenir ainsi une actrice du réseau plutôt qu'une simple commentatrice...

Grescoe, qui vient d'avoir un enfant et découvre les joies de la poussette dans le bus, est un journaliste canadien, qui a vécu à Vancouver, à Toronto et même dans les banlieues de Calgary, avant de s'installer il y a 15 ans à Montréal. Il fait de la pige pour de grandes publications comme le New York Times ou Walrus et publie de longs reportages fascinants, sous forme de livres. C'est lui, par exemple, en 2008, qui a ouvert les yeux à bien des lecteurs sur les problèmes de notre consommation de poisson et de fruits de mer avec son livre Bottomfeeder, traduit en français chez VLB sous le titre Notre mer nourricière, qui a collectionné toutes sortes de prix après sa parution.

Cette fois-ci, il publie chez HarperCollins un ouvrage qui trace le portrait des systèmes de transports en commun dans 14 villes, de Moscou à Vancouver, en passant par Copenhague, Bogotá, Paris, Phoenix, New York et Montréal. Partout, il décortique le système de transports collectifs, il prend le métro ou le vélo et cherche à comprendre pourquoi cela fonctionne ou pas et quels sont les défis ainsi illustrés.

Son système de transports en commun préféré? C'est à Paris qu'il l'a trouvé. «Le métro est vraiment très bien. Il y a des stations partout, les trains sont fréquents. Et j'aime les édicules Art nouveau.» L'anecdote la plus drôle: les gens qui dorment dans le métro de Tokyo avec une affiche sur leur tête indiquant aux autres occupants du wagon quand les réveiller. Donnée fascinante: ces tourniquets japonais qui indiquent aux parents, en temps réel, où leurs enfants sont rendus dans le réseau.

«J'aime ces villes où les transports en commun sont aussi pratiques que la voiture pour aller de n'importe où à n'importe où, dit Grescoe. Et ces systèmes façonnent les villes, les rendent beaucoup plus attirantes que ce que peut faire la voiture.»

Selon le journaliste, Montréal a beaucoup à apprendre des expériences des autres grandes villes, mais cela ne veut pas dire que la situation ici soit désastreuse. «On s'améliore», note-t-il.

Le BIXI est une formule intéressante. Les métros sont mieux organisés. Évidemment, on n'a pas le paiement par téléphone portable comme en Suède. Ni les bus qui entrent directement dans les stations de métro comme à Toronto, ce qui facilite grandement les correspondances. Ou encore ces systèmes de prépaiement sur des plateformes pour les bus, là encore facteur d'accélération du système, comme dans plusieurs grandes villes sud-américaines ou chinoises. Mais ça va mieux que dans les années 80 ou 90. «Et ce qui est frappant, c'est qu'il y a une demande pour les transports en commun, note Grescoe. Les membres de la génération Y [Millenials en anglais] reviennent en ville.»

Le modèle urbain centré autour de la voiture et développé surtout après la Seconde Guerre mondiale ne fonctionne pas. Los Angeles et Phoenix, en Arizona, ont été des laboratoires pour cette conception de la ville et le résultat est un long embouteillage. «Les villes recherchées par les jeunes sont celles où il y a de la densité.»

Et les baby-boomers, continue-t-il, sont prêts à rentrer en ville. «Une fois les enfants partis, c'est ennuyant, la banlieue...»

Grescoe ne possède pas de voiture et n'a pas l'intention d'en acheter une, même s'il compte avoir d'autres enfants. Il ne jure de rien, mais c'est son plan. Dans un monde idéal, il s'achèterait une bicyclette cargo, comme celles qu'on voit à Copenhague et qui permettent de transporter jusqu'à trois enfants ou l'épicerie pour une semaine complète. Dans un monde idéal, il encouragerait aussi Montréal à faire comme Los Angeles en fermant des rues entières aux voitures durant les week-ends pour les laisser aux vélos. Il demanderait aussi un meilleur service de métro et de bus à Laval, des ondes cellulaires dans le métro, un système tarifaire plus simple et une application de téléphone intelligent pour les utilisateurs d'autobus afin qu'ils sachent quand arrivera le prochain véhicule à leur arrêt. «Il me semble que, comme ça, on serait pas mal plus relax, non?»