«Les archives regorgent de beaux plans, qui ont été modifiés allègrement en cours de route, soit à cause de difficultés économiques, soit par des pressions diverses et les beaux concepts d'origine ont perdu toute leur signifiance, toute leur qualité d'ensemble. Les grands aménagements urbains ont besoin de ténacité et de volonté politique.»

Qui, selon vous, a déjà dit cela?

Phyllis Lambert?

Peut-être. Après tout, la fondatrice du Centre canadien d'architecture a accordé la semaine dernière une fort intéressante entrevue au Devoir où on a appris notamment qu'elle ne trouvait «pas géniale» la nouvelle Maison symphonique et qu'elle s'inquiétait de voir le pont Champlain devenir une construction «tape-à-l'oeil».

Mais non, ce n'est pas de Mme Lambert, même si elle trouve effectivement que Montréal doit recommencer à réfléchir avec intelligence et profondeur aux projets architecturaux plutôt qu'à toujours rogner dans les coûts et les délais.

Est-ce alors le maire de Montréal, Gérald Tremblay, qui a lancé cette phrase? Montréal étant une ville UNESCO de design, on aurait pu s'attendre à une telle prise de position en faveur de la rigueur. Non, pas lui non plus.

Alors peut-être est-ce l'ancien maire de Québec Jean-Paul L'Allier, celui qui a piloté les grands projets urbains québécois faits dans le cadre des festivités du 400e en 2008, qui vont du réaménagement de la promenade Samuel de Champlain à l'installation d'une oeuvre d'art lumineuse dans le Vieux-Port.

Non, pas lui, même si M. L'Allier est le genre de maire qui a exactement fait ça.

Alors qui donc a pu prendre position en faveur de projets architecturaux menés avec ténacité et volonté, fidèles aux plans d'origine, sans compromis économiques ni politiques?

Cette phrase a été prononcée par le maire de Québec Régis Labeaume, à la fin de son allocution au deuxième colloque sur l'innovation en architecture, tenu en décembre 2010. Allocution où il a parlé ainsi du projet de nouveau Colisée: «Ce que nous avons amorcé en proposant de localiser le futur amphithéâtre sur le site d'Expo-Cité, a-t-il déclaré, c'est une complète requalification de ce secteur, mal structuré, mal organisé, mais grouillant d'activités. Ici aussi, un travail de conception de base est nécessaire; il faut lui inventer une personnalité urbaine, mieux l'intégrer aux quartiers périphériques, [...] activer son potentiel de consolidation et de développement, s'occuper du piéton. L'occasion est propice, il ne faut pas la rater.»

Jusqu'ici, ce maire a l'air d'avoir tout compris.

Un amphithéâtre, c'est une occasion de retisser la trame urbaine, de l'améliorer, de lui donner un nouveau visage, semble-t-il dire, tout en précisant que, pour ce faire, il faut préparer le terrain comme il faut, bien le comprendre, bien analyser...

Le hic, c'est que selon l'Ordre des architectes, ce n'est pas cela qui est en train de se passer.

Selon l'Ordre, la mairie fait tout sauf prendre le temps de bien faire les choses. «Coûts et délais sont répétés comme des mantras», explique son président, André Bourassa, qui trouve que le projet roule beaucoup trop vite, comme un train filant à toute allure sur des rails dont l'itinéraire précis n'a jamais été tracé et qu'on installe au fur et à mesure, en voyant le bolide arriver.

M. Bourassa a fait connaître son opinion à M. Labeaume, s'interrogeant sur la validité de l'appel d'offres - notamment ses contraintes côté délais - lancé par Québec. Le tout a donné lieu à des réactions fortes du maire, qui a traité l'architecte «d'aristocrate» et ses récriminations de «show de boucane».

Est-ce ça, la «ténacité» et la «volonté politique» dont il parlait en 2010? Est-ce d'invectiver le représentant des professionnels dont a nécessairement besoin une ville qui veut bien se construire et être, pour citer le maire, un de ces «lieux dans le monde où s'exerce une sorte de magie, où tous aiment se retrouver, qui nous laissent des souvenirs impérissables» ?

* * *

Depuis quelque temps, on parle plus que jamais d'architecture. On consulte, on échange, on écrit des lettres aux journaux pour demander un pont qui soit plus qu'un tablier de béton, on critique les projets fades, on se questionne à voix haute, on organise des colloques. Et tout cela est vraiment tant mieux.

Mais que se passe-t-il quand arrive le temps de prendre des décisions concrètes?

À Montréal, on consulte sur l'avenir de Griffintown, mais des centaines de millions sont déjà engagés en construction.

À Québec, le maire a repris comme tant d'autres la vieille route traditionnelle du «pas cher», «fait vite».

Dans la métropole, on entérine un grand plan d'aménagement et de développement (PMAD) qui vise la protection de la ceinture verte, mais l'encre n'a pas encore séché et voilà qu'une municipalité marche dans le sens inverse avec un projet de construction résidentielle piloté par un sénateur libéral. Et seuls les citoyens (et Québec solidaire) semblent s'en inquiéter.

À Montréal, on se dit ville de design, mais à peu près tout ce qui sort de la bouche des élus au sujet de la reconstruction du pont Champlain concerne non pas la redéfinition des besoins et l'opportunité de réinventer le pont urbain moderne avec intelligence - et pas nécessairement au gros prix -, mais touche plutôt la présence ou non de péages. Oh et la mairie s'est aussi exprimée pour dire qu'elle aimait bien l'idée qu'Ottawa veuille aller vite. Le projet coûtera des milliards, mais on veut faire ça vite.

Au fait, dites-moi, qu'est-il arrivé la dernière fois que vous avez fait un gros achat sans prendre le temps d'identifier vos besoins, de chercher ce qui est sur le marché, de demander conseil et de magasiner suffisamment?

C'est bien ce que je pensais.