L'architecte Gilles Saucier n'a pas besoin de plus de contrats.

Son carnet déborde.

En plus de ses nombreux projets à Toronto, à Vancouver et même à Montréal, son agence, Saucier " Perrotte, vient de passer à la deuxième ronde d'un important concours international pour le Centre des congrès de Bogota, en Colombie.

Et quand il ne côtoie pas déjà ainsi sur de très courtes listes les plus grands noms du moment en architecture (les autres bureaux finalistes sont notamment ceux de Zaha Hadid, architecte d'origine irakienne qui bouleverse les idées reçues, Diller Scofidio " Renfro, qui a transformé le High Line de New York et construit l'Institut d'art contemporain de Boston ainsi que Snøhetta, boîte norvégienne qui a conçu le nouvel opéra d'Oslo et qui veille maintenant sur l'agrandissement du musée d'art moderne de San Francisco), il cherche des idées pour d'autres grands concours internationaux tenus dans des villes où on aime aller chercher les meilleurs pour construire de grands bâtiments, chers ou pas.

M. Saucier, donc, est passablement occupé, mais si on lui demandait de dessiner un grand projet pour Montréal, il répondrait plus que présent.

Pourquoi?

Pour y faire quelque chose qui marque l'espace, qui rayonne internationalement, mais qui ait aussi un impact sur la vie des Montréalais, au-delà de ce que les architectes appellent «l'effet Bilbao», référence au spectaculaire musée Guggenheim dessiné par Frank Gehry, dont la popularité a surtout mis cette ville basque sur la carte du tourisme international.

Car un tel projet, dit-il, Montréal en a cruellement besoin.

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Gagnante à sept occasions du prix du gouverneur général et d'une kyrielle de distinctions et prix nationaux et internationaux, la firme Saucier " Perrotte devrait être chouchou à Montréal, ville où ses deux fondateurs ont choisi de vivre et de travailler. Pourtant, c'est à Toronto, actuellement, que se déploie la majorité de ses efforts. Pourquoi? À Montréal, qui embauche-t-on?

On embauche surtout ceux qui présentent les projets les moins chers possible, répond M. Saucier. «Parce que c'est politiquement payant de payer moins cher.» Pourtant, dit l'architecte, les choix qui marqueront l'avenir de la ville ne devraient pas être une question de prix, mais d'abord d'idées. On choisit des concepts, une vision, une créativité. On ajuste le prix ensuite s'il le faut. «Il y a une lubie qui veut que dès qu'on demande quelque chose à un bon architecte, ça coûte plus cher. C'est faux.» Un bon architecte, croit-il, aura de bonnes idées pour les projets de toutes les catégories de prix.

Montréal, continue-t-il, a donc besoin de s'affranchir de cette obsession de la facture. De cette mentalité de magasin à un dollar, où rien n'est cher, rien n'est réellement intéressant et créatif et rien ne dure. Parce que c'est justement en train de donner à certains coins de Montréal le style «plus bas soumissionnaire».

Est-ce ce que l'on veut?

Une ville où ça paraît que ça n'a pas coûté cher... Et surtout, où ça se sent, où ça se vit.

M. Saucier ne veut pas parler précisément des bâtiments qui posent problème. Il nous laisse le plaisir de déterminer ce qui est médiocre.

Le seul projet dont il ose dire quelques mots, c'est celui de l'OSM, où sa proposition n'a pas été retenue; on a préféré celle d'une équipe d'architectes ontariens dont la facture était moins élevée. Mais était-ce les meilleures idées? «Il y avait de meilleurs projets sur la table...», répond-il.

Actuellement, Gilles Saucier et son équipe travaillent, parmi plusieurs autres choses, sur le complexe sportif de l'arrondissement de Saint-Laurent, qui sera sur le boulevard Thimens, à côté de l'école secondaire Saint-Laurent. En mars dernier, ils ont en effet remporté le concours pour cette construction, compétition mise en place avec l'appui notamment du Bureau de design de la Ville de Montréal, qui cherche à encourager l'excellence en confrontant les idées. «De la volonté de faire mieux, il y en a à Montréal», dit M. Saucier, en louant les efforts du Bureau de design.

«Mais s'ils n'ont pas d'armes pour y arriver...»

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L'autre gros problème à Montréal et ailleurs au Québec, continue l'architecte, c'est le Code du bâtiment, qui limite les créateurs. Conçu au départ pour protéger les citoyens contre les constructeurs et concepteurs broche à foin, le Code est en fait devenu un rempart derrière lequel se cachent les dessinateurs de plans sans imagination. Le Code est presque devenu une sorte de recette à bâtiments sans intérêt, mais qui respectent en tous points les directives.

«Parfois, même les fonctionnaires trouvent absurde de devoir refuser certains éléments de nos projets. Sauf que dès qu'on veut faire quelque chose de spécial, on se heurte au Code», dit Gilles Saucier.

Peut-on penser à un nouveau système de dérogation? À plus de souplesse?

Fait-on assez de place à la créativité?

Gilles Saucier, dont le bureau a été jugé le meilleur du pays en 2009 par l'Institut royal d'architecture du Canada, aurait pu se taire. Et continuer à se distinguer sur la scène internationale tout en multipliant les projets ailleurs au Canada.

Mais Montréal est sa ville. Et selon lui, elle doit changer sa façon de faire ses choix en matière d'architecture. Il «tenait à sonner la cloche».

«Car je suis convaincu, conclut-il, qu'il est possible de faire de cette ville ce qu'on rêve qu'elle soit.»

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca