«Maman, je m'en vais jouer dehors!» Quand un de mes enfants m'a lancé cette phrase anodine, cette semaine, j'ai eu un petit frisson. Tout petit.

«Mais tu restes dans l'allée, n'est-ce pas?»

Si on n'avait pas trouvé le corps de Jolène Riendeau, tragique découverte qui a ramené dans notre pensée cet archétype du cauchemar parental - l'enfant qui part jouer dehors pour ne jamais revenir, kidnappé et tué par un «sadique» -, peut-être n'y aurais-je pas pensé.

Peut-être me serais-je surtout réjouie de cet élan vers l'extérieur, vers un jeu de ballon, loin des écrans d'ordinateur, de télé, de jeu vidéo...

Sauf que voilà. Je me suis rappelé Jolène. Et j'ai eu ce frisson.

Pour le moment, on sait bien peu de ce qui s'est réellement passé le 12 avril 1999, quand la petite fille de 10 ans de Pointe Saint-Charles est partie s'acheter des chips en promettant à son père de revenir pour le souper qu'ils venaient de préparer ensemble. On sait qu'elle a été vue à un dépanneur du quartier et qu'elle n'est jamais rentrée. Puisqu'on la décrivait à l'époque comme une petite dégourdie un peu précoce, l'hypothèse de la fugue n'a pas tout de suite été écartée. Puis le mystère s'est épaissi. Battues et recherches policières massives et exhaustives ont été entreprises. L'organisme Enfant-Retour a aidé la famille. La photo de Jolène a été affichée partout dans la ville. Même l'émission America's Most Wanted l'a diffusée. Mais promesses de récompenses et appels au public n'ont rien donné. On n'a rien trouvé.

Et 12 ans plus tard, alors qu'on était tous pétrifiés devant nos téléviseurs, fascinés par l'exécution d'Oussama ben Laden, le mariage royal et les résultats électoraux, voilà que, comme s'il n'y avait pas eu assez de nouvelles pendant la semaine, l'information est arrivée.

On a trouvé le corps de Jolène. Vendredi: on a mis la main sur un suspect.

La vie ressemble parfois à un épisode des Tannants. Parfois à un roman policier suédois. Ça dépend des jours.

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Maintenant, on veut en savoir plus. Moi la première.

Où l'a-t-on trouvée? Comment a-t-elle été tuée? On veut des détails. Comme il est normal de vouloir avoir plus d'information concrète sur la mort de ben Laden.

Ce n'est pas du voyeurisme. C'est une réaction instinctive de défense. On veut pouvoir mettre le doigt sur tout ce qui nous éloigne des circonstances qui ont mené au drame. Ce qui nous en protège. On veut que notre cerveau, nourri d'informations, réussisse à nous façonner une zone de confort où l'on se sent à distance de tout ce mal.

Mais ne peut-on pas aussi en savoir trop?

«Penses-tu vraiment que les parents ont envie de rallumer le cirque médiatique? m'a demandé vendredi une amie pas du tout journaliste. Penses-tu vraiment qu'ils avaient envie, rendus là, qu'on trouve un corps?»

Les parents ont probablement besoin d'un peu de temps pour digérer leur nouvelle réalité. Soit.

Mais aussi dure soit-elle, la vérité est mieux que le brouillard, non? Qui veut passer sa vie devant un canevas vide et sombre sur lequel on peut tracer et retracer sans cesse, sans fin, les pires atrocités?

Mais peut-être que le silence est mieux que le sang qui gicle trop clairement.

Le procès Turcotte, actuellement, nous oblige à nous demander jusqu'à quel point savoir les choses n'est pas parfois un peu une torture. Aussi.

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Vendredi, je suis allée à Pointe Saint-Charles voir le quartier où Jolène a disparu. Avec les années, les rues se sont transformées. La «Griffintown attitude» déborde de ce côté-là du canal de Lachine aussi. On sent la présence d'artistes, d'étudiants. Le quartier ouvrier, dur, qui s'enflammait à la Saint-Patrick, royaume du légendaire héros montréalais Joe Beef - qui a maintenant son parc - n'est plus ce qu'il était.

Dans ces rues de plus en plus retapées, je parie qu'on laisse de moins en moins les enfants de 10 ans errer seuls dans les ruelles.

Et je parie aussi que partout, dans nos maisons, en pensant à Jolène, mais aussi à Julie, à Cédrika et même à la petite Maddie, on aura tous, pendant quelque temps, ce petit frisson en disant d'un ton convaincu à nos enfants le soir que non, ils n'ont pas à avoir peur du noir parce que les monstres, c'est comme les dragons et les sorcières, ça n'existe pas. Ça ne se cache pas sous le lit ni dans les placards.