Ce n'est pas pour me vanter, mais j'ai déjà mangé du cochon d'Inde. De l'agouti, en fait, nom généralement utilisé quand on parle de cette bestiole pour la cuisine.

C'était à Abidjan, en Côte d'Ivoire, durant des jours politiques plus heureux, au milieu des années 80. On avait préparé la petite bête non pas grillée et servie entière dans l'assiette, comme au Pérou, plat pour le moins spectaculaire vu la tête et les pattes. Je l'ai mangé plutôt en kedjenou, donc sous forme de ragoût cuit à l'étouffée. J'en garde un souvenir parfumé, mais surtout amusé. Un kedjenou d'agouti à Abidjan. Je savais que je m'en souviendrais longtemps.

Hier, on a appris par la plume de ma collègue Christiane Desjardins qu'un distributeur ontarien a tenté de faire entrer illégalement au pays un chargement de cette viande venue du Pérou. On aime bien l'agouti en Afrique, mais aussi en Amérique du Sud.

Bien des gens ont donc probablement appris hier, en lisant cet article, que le cochon d'Inde est comestible.

En fait, seulement certaines variétés le sont. Comme le cochon d'Inde agouti qu'on réussit maintenant à élever pour qu'il soit bien dodu.

Horrifiant, comme concept?

Pourquoi?

Parce que vos enfants jouent avec ces petites bêtes aux yeux doux comme si elles étaient des toutous?

Alors peut-être devrions-nous aussi cesser de manger de l'oie ou du veau, dont les grands yeux noirs nous regardent si angéliquement quand on les croise à la ferme. Et que dire des cochonnets tout roses à la queue en tire-bouchon? N'avez-vous pas pensé laisser tomber vos oeufs-bacon après avoir vu le film Babe?

Oui, Babe, je parle du long métrage australien mettant en vedette un porcelet qui se prenait pour un chien de berger, qui a fait tout un tabac dans les années 90.

C'est drôle, je ne me rappelle pas de campagne anti-bacon, ni anti-rillettes d'ailleurs, à la suite de la projection de ce film.

Pourtant, il était si mignon, Babe, et elle est si loin d'être rose, la vie de tous ces petits cochons, qui se termine dans des emballages de plastique dans les frigos de Metro ou Loblaws...

* * *

Pourquoi s'inquiète-t-on tant du sort des cochons d'Inde et du foie des canards - comme l'ont montré cette semaine les organisateurs du Bal de Neige, à Ottawa - alors que les poulets nous laissent de glace, tout comme les boeufs, les cochons ou les agneaux? Pourtant, un agneau, c'est joli comme tout. Tout blanc, frisé... C'est même assez doux.

Notre rapport avec la viande est étrange. Pour ne pas dire totalement hypocrite.

On s'intéresse au sort de certains animaux. Mais pas tous. Et pas tout le temps.

On accepte que notre quotidien soit nourri de viande industrielle sortie d'étables qui n'ont rien d'un spa. Et jamais je n'ai entendu parler de manifs devant un restaurant ou une épicerie, exigeant une transformation radicale de la production afin qu'en aucun cas ne soit mise en circulation de la viande contaminée à la Listeria ou à l'E. coli.

Par contre, on laisse une poignée de militants anti-foie gras faire trembler l'organisme fédéral organisateur d'un grand événement gastronomique dans la capitale. Le tout en sachant très bien que le foie gras est un aliment marginal dans notre réseau alimentaire. Un produit local. Artisanal. Dérivé du processus naturel de gavage chez les oiseaux migrateurs...

Autre chose. On accepte d'engloutir toutes sortes de choses portant le nom de viandes, transformées, frites, hachées, triturées, dont on ne saura jamais où elles ont vécu et comment on les a engraissées. En revanche, on lance les hauts cris en apprenant que des gens cuisinent l'agouti.

Bravo pour la cohérence. La nôtre et celle des institutions, comme la Commission de la capitale nationale - organisme fédéral qui chapeaute Ottawa et Hull - qui ne veut pas servir de foie gras au grand banquet de son Bal de Neige. Et qui amène ainsi le chef-vedette Martin Picard - pourtant connu d'abord et avant tout pour ses plats au foie gras - à se retirer du projet, dont il devait être le personnage central.

N'est-ce pas le même gouvernement fédéral qui essaie de convaincre les Européens de manger du phoque et donc de passer outre aux discours des militants pour les droits des animaux qui pleurent le sort des blanchons?

Phoque, oui; agouti, non; foie de canard, non. Encore une fois. Je me répète: où est la logique?

Je ne suis pas contre l'idée de se scandaliser. Surtout dans le domaine alimentaire. Il y a mille raisons de s'insurger qui traversent des sujets allant des OGM aux additifs chimiques en passant par les inégalités mondiales et la surpêche.

Mais s'il faut se révolter côté viande et élevage, c'est d'abord contre les excès de l'industrialisation dans la production de ce que l'on mange TOUS LES JOURS.

Protester contre le foie gras est une marque de faiblesse, voire de lâcheté. Que la Commission de la capitale ne l'ait pas saisi et ait même abdiqué devant la menace est aberrant.

Ces militants, pensez-vous que ce sont d'anciens amateurs qui ont fait une croix sur leur aliment préféré pour des raisons hautement éthiques et philosophiques ou des gens qui détestent les abats, au départ, et ne font donc aucun sacrifice?

Cette cause est une façon facile pour quelques militants en mal de reconnaissance de se donner bonne conscience pendant que les problèmes graves, à grande échelle, restent tous à régler.