Je reviens à l'instant même d'une séance de shopping.

Quelques vêtements neufs pour Noël et le jour de l'An, des cadeaux évidemment, des tourtières préparées par des gens qui savent mieux cuisiner que moi. Une couronne de plumes fuchsia qui, je l'espère, fera rire un peu mes voisins. Ce sera mon cadeau. Quelques minutes de rigolade à mes frais. Ça a marché avec ma lampe bleu ciel.

À la radio, dans la voiture sur le chemin du retour, un spécialiste de l'aide aux endettés de St. John parlait des trous budgétaires faramineux que les consommateurs accumulent durant le temps des Fêtes. «Il y en a qui nous arrivent avec neuf cartes de crédit remplies.»

Il était en train de décrire l'Apocalypse, mais, en fait, il m'a bien réconfortée. Neuf cartes remplies? Avec ma carte principale dont la limite a été atteinte peut-être trois fois dans toute ma vie et la deuxième, toujours vide, seulement utile pour urgences en cas de problème avec la première (nécessaire quand on voyage pour le travail), je me sens comme une moniale.

Pourtant, je viens de dépenser quelques dollars quand même et je devrais me sentir un peu coupable. Je n'ai pas recyclé mes vêtements pour en faire des coussins, je n'ai pas fouiné dans les librairies d'occasion pour trouver des trésors à 50 cents, je n'ai pas tissé moi-même une couverture en lin bio pour ma petite dernière. J'ai plutôt investi dans ladite couronne en plumes et quelques objets que j'estime de qualité (mais que je ne peux décrire pour des raisons évidentes - oui, ça sait déjà lire chez nous) dont certains sont carrément à la mode. Bref, j'ai non seulement péché en plongeant dans la consommation, mais j'ai aussi fait de moi une victime de l'engouement populaire pour certaines bottes en mouton et blousons d'hiver.

Où suis-je donc? Pas une endettée compulsive, mais pas une ascète vertueuse de l'antimagasinage non plus. Suis-je nulle part?

Pas du tout. Je suis avec tout le monde.

Je suis avec tous ceux qui ont rempli les boutiques ce week-end et qui ont fait qu'on se marchait sur les pieds au Apple Store ou chez Renaud-Bray, mais qui ont aussi répondu à la maison de sondage CROP, dans le cadre d'un de ses sondages Jam, que Noël ne leur plaisait pas pour des raisons matérialistes.

Selon cette étude en ligne, lorsqu'on interroge les Québécois - le sondage a été fait avec un échantillon de 1000 répondants - sur ce qu'évoque Noël, 37% estiment qu'il s'agit d'abord et avant tout d'un moment de plaisirs de vacances et 33% en profitent pour dire que Noël, pour eux, c'est «prendre du bon temps avec la famille». Au troisième rang des pensées les plus populaires liées au 25 décembre? Le fait que cet événement soit devenu «trop commercial». Le tiers des Québécois expriment en effet ce constat lorsqu'on leur demande de parler de cette fête. Surconsommation, perte des vraies valeurs, gros commerce sont d'autres idées lancées par, encore là, plus ou moins le tiers des personnes interrogées.

Incohérence si on en juge par les foules dans les centres commerciaux et comment elles ont vidé les étalages de certains vêtements à la mode ou de jeux vidéo ultrapopulaires?

Pas du tout.

Trouver que Noël est un moment de surconsommation nous oblige-t-il à rester à la maison à tricoter des cadeaux de pelure de maïs filée?

N'est-il pas un peu normal qu'avec nos horaires de fou, on soit à la dernière minute avec nos achats, d'où l'effet de surpopulation dans les boutiques?

Je suis certaine qu'il y a beaucoup d'endettement inutile.

Les banquiers vendent leur argent à des prix ridicules et ensorcellent les consommateurs dans la spirale de l'emprunt à peu près comme les sirènes dans L'Odyssée.

Mais ne faut-il pas partager la surconsommation de la consommation tout court? Car n'est-ce pas cette consommation qui fait qu'en 2011, on a des ordis pour parler de vive voix par Skype avec ses copains à Nijni Novgorod? Ou qu'on peut passer non pas trois jours à chercher un enregistrement précis de Chopin, mais plutôt télécharger le tout en à peine quelques minutes pour enseigner la culture musicale à ses enfants?

À l'émission de radio sur l'endettement et la surconsommation de Noël, tout le monde utilisait l'immense télé à écran plat au prix de fou, qui permet de regarder les matchs de sport en cinéma maison avec haute définition, comme image parfaite de consommation exagérée. L'exemple est effectivement excellent. Mais on aurait pu parler aussi de sacs à main griffés à plus de 1000$.

Cela dit, qui sommes-nous pour juger les achats des autres? Il y a des gens qui s'offrent une télé à 3000$ pour pouvoir être en famille tous les week-ends autour d'un bon film et d'autres qui paient le double pour partir dans un tout inclus en plein mois de mars avec leurs proches. Il y en a qui achètent des maisons pas chères dont ils feront toutes les rénovations - bravo pour la décision pleine de rationalité, diront les antidettes - pour pouvoir s'offrir un véhicule géant avalant des quantités pantagruéliques d'essence.

Un achat est un seul geste dans toute une vie. Et si l'immense télé servait à regarder du cinéma d'auteur québécois? Et si le sac griffé était le «cadeau de moi à moi» d'une femme qui en rêve depuis sa tendre enfance, façon Breakfast at Tiffany's, et qui vient de briser le plafond de verre?

En Espagne, cet automne, j'ai rencontré des chauffeurs de taxi qui mangent une fois par année dans un trois étoiles Michelin.

Sont-ils irresponsables?

À chacun son truc.

Et à chacun le droit d'acheter son truc, sans avoir à endurer l'analyste machin le décréter superflu.

Le surendettement et les achats totalement inutiles de toc pur font partie des réalités de Noël. Et des plus nulles.

Mais ce que le sondage CROP dit, c'est que la population québécoise n'est pas plongée là-dedans à 300%, nageant dans les dépenses les yeux fermés.

Entre les marges des deux côtés, soit les antishopping et les magasineurs compulsifs et irréfléchis, il y a tout un groupe de consommateurs du milieu, qui font leurs choix et achètent banalement, jour après jour, biens et services. Évidemment, ils en font un peu plus de ces choix ces jours-ci, vu la tradition de s'offrir des cadeaux à Noël. Mais cette fête demeure, pour eux, comme ils l'ont dit aux sondeurs, d'abord et avant tout un événement non pas matériel, mais humain.

Est-ce nécessaire d'en faire si grand cas?