Le pape m'épate. L'an dernier, il était contre les capotes en Afrique, malgré la nécessité d'endiguer l'épidémie de sida. Cette année, il est pour, dans certaines circonstances «exceptionnelles», comme dans le cas des prostitués mâles qui essaient de se protéger justement, contre la maladie.

Wow!

Tout un saut.

Tout un virage pour un dirigeant religieux qui n'est pas habitué à changer d'idée tous les jours. Tout un changement de cap pour une institution qui, il n'y a pas si longtemps, n'appelait même pas un préservatif un préservatif. Et n'est-ce pas de la compassion et de l'empathie envers les victimes et potentielles victimes du sida, maladie au nom généralement chuchoté, que l'on entend à travers les mots de cette entrevue accordée à un biographe allemand, révélés le week-end dernier...

Pour la cohérence avec tous les autres messages catholiques au sujet de la sexualité, il faudra repasser. Pourquoi, par exemple, s'inquiète-t-on des hommes prostitués et de leurs clients, alors que les femmes africaines, elles, n'auraient pas droit à la protection des préservatifs tel que stipulé par le pape lors de son voyage au printemps 2009? D'ailleurs, les femmes seront-elles nécessairement encore et toujours tenues loin à l'écart de toute ouverture face au préservatif, vu que la protection contre la maladie sera toujours, biologie oblige, liée à la possibilité de bloquer la procréation? Le pape continue-t-il donc, en choisissant cet exemple très précis d'ouverture aux préservatifs, à donner à l'éventualité d'une fécondation préséance absolue sur l'éventualité d'une contamination? Et pourquoi avoir combiné tant de gravissimes interdits religieux dans cette seule phrase: la prostitution, l'homosexualité, les préservatifs...

«Peu importe, la bonne nouvelle, c'est que le pape lance un message d'ouverture», confiait hier au téléphone le médecin Réjean Thomas, un de ceux qui ont éveillé le Québec aux ravages du sida, qui a le plus poussé pour des campagnes de prévention et qui s'est ensuite battu pour une prise en charge humaine et médicalement efficace des personnes atteintes de la maladie et contaminées par le virus.

«Il a prononcé le mot «préservatif». Ce n'est pas rien. Avant, il était beaucoup plus évasif. Pour les gens sur le terrain, tout cela a de l'importance.»

Le Québec, explique le Dr Thomas, n'est pas aussi catho que certains pays en voie de développement où le sida se propage trop vite - dans certaines régions de pays africains, la maladie touche jusqu'à 30% de la population.

Cela dit, le vieux fond religieux du Québec n'est jamais bien loin. Même si une grande partie de la population n'a pas grand-chose à faire de l'avis du pape, il y a bien des gens qui ne le clament peut-être pas, mais restent sensibles aux avis venus de Rome. De plus, le Québec n'est pas isolé du reste du monde. Ce qui se fait ailleurs pour la prévention du sida le touche lui aussi.

«J'ai rencontré des religieuses à Haïti qui devaient distribuer des préservatifs en cachette», relate le Dr Thomas. «Qu'on le veuille ou non, le pape est un leader spirituel, une institution morale...»

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Première chose à retenir, donc, c'est que le pape fait preuve d'ouverture, une bonne nouvelle à une semaine de la journée mondiale de lutte contre le sida. Maintenant, reste à comprendre les implications de cette ouverture. «Le pape considère qu'une situation est exceptionnelle quand l'exercice de la sexualité pose un réel danger à la vie de l'autre», a expliqué le père Federico Lombardi, son porte-parole officiel cité dans le Telegraph, en faisant référence à la citation précise de Benoît XVI qui a déclenché toute cette discussion, phrase prononcée lors d'une entrevue à un journaliste allemand qui écrit un livre sur Joseph Ratzinger.

Est-ce dire que l'utilisation des capotes entre mari et femme est permise si l'un des deux est atteint du virus ou de la maladie? Et est-ce dire que le pape commence à être possiblement prêt à considérer que l'acte sexuel peut être autre chose qu'un strict exercice de procréation potentielle? En d'autres mots, est-il prêt à assouplir, par exemple, les positions morales de l'Église sur les conséquences de viols? Si le préservatif est permis aux prostitués mâles car il s'agit de circonstances exceptionnelles, l'interruption volontaire de grossesse pourrait-elle être aussi acceptée lorsque la vie d'une victime d'inceste est indiscutablement mise en danger par une grossesse conséquence du crime? Vous vous rappelez ce cas au Brésil au printemps 2009, où des médecins ont été excommuniés après avoir avorté une enfant de 9 ans, enceinte de jumeaux à la suite des agressions de son beau-père, qui serait morte si elle avait eu à poursuivre sa grossesse...

L'Église catholique a encore immensément de chemin à faire pour se rapprocher un tant soit peu de la réalité vécue sur le terrain, autant par les victimes du VIH que celles d'agressions sexuelles. Et on ne parle même pas des 36 000 femmes africaines - oui, en Afrique seulement, selon un rapport de l'ONU - qui meurent chaque année des suites d'un avortement raté. N'y a-t-il pas, dans ces cas-là aussi, un «réel danger à la vie» qui pourrait être évité avec de la contraception adéquate actuellement niée?

Mais bon, l'Église a fait preuve d'un début de premier pas de commencement d'ouverture. Bravo.