«Si seulement un médecin prenait une demi-heure pour expliquer à la jeune femme de 16 ans enceinte les conséquences psychologiques qu'elle éprouvera...»

Quand Mgr Marc Ouellet a laissé tomber cette phrase hier en conférence de presse au sujet de sa position sur l'avortement, j'ai appuyé sur le bouton «reculons» de l'enregistreuse numérique, abasourdie par l'énormité presque caricaturale.

Une demi-heure pour parler? Pense-t-il que les avortements sont faits à la chaîne? En 10 minutes, au premier rendez-vous, merci, bonsoir.

Si le cardinal Ouellet avait pris, lui, une demi-heure avant sa conférence de presse pour se faire expliquer les choses par des gens qui travaillent, sur le terrain, dans des cliniques d'avortement, il aurait en effet appris que du temps, les médecins et tout le personnel de la santé qui veillent sur les patientes confrontées à une grossesse non désirée en passent beaucoup avec ces femmes acculées au mur.

«Souvent, la patiente s'adresse d'abord à un généraliste qui discutera avec elle avant de la diriger ailleurs, vers un autre médecin avec qui elle discutera aussi, explique le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Parfois elle s'adresse directement à une clinique où on pratique les IVG (interruptions volontaires de grossesse), mais alors, il y aura une semaine, parfois même deux semaines de délai, entre la première rencontre et la procédure, justement pour qu'elle ait le temps d'y penser. Du temps, on en laisse beaucoup, pour nous assurer que la décision soit éclairée. C'est essentiel.»

Si le cardinal Ouellet avait pris une autre demi-heure de son temps pour rencontrer toutes sortes de femmes aux prises avec cette décision, peut-être aussi aurait-il remarqué que la jeune femme de 16 ans à laquelle il fait allusion, ce personnage type qu'on imagine quelque part entre Bristol Palin et l'héroïne du film Juno, bien en santé, sans problèmes d'alcool ou de drogue et réellement libre de faire tous les choix qui s'offrent à elle sans risque de gâchis trop grave, n'est pas exactement la patiente de tous les jours.

La femme qui se retrouve confrontée à une grossesse non désirée a mille profils, mille âges, mille circonstances, mille histoires d'abus, de violence, de dépendances, de dépression, de pauvreté, de quêtes non résolues, de drames à oublier, d'impasses, de vides. La grossesse dont elle ne veut pas est peut-être, de mille façons, un danger pour elle, pour les autres.

Si seulement Mgr Ouellet avait pris une demi-heure pour parler avec des médecins, des professionnels de la santé travaillant dans les cliniques d'IVG et en santé publique, il se serait peut-être aussi rendu compte qu'il n'est pas le seul à vouloir diminuer le taux d'avortement, que c'est l'objectif de toutes sortes d'acteurs du réseau.

Et il aurait peut-être même constaté que ce sont probablement des améliorations du côté de la contraception - notamment l'accès plus convivial à la pilule du lendemain dénoncée par plusieurs au sein de l'Église - qui expliquent la baisse du taux depuis quelques années.

Bref, il est vrai que ce n'est pas une mauvaise idée, parfois, de prendre une demi-heure pour s'arrêter, écouter, apprendre, s'informer, réfléchir. Mais apparemment, pas pour écouter les curés.